Algues alimentaires : quel potentiel pour la Bretagne ?

En accompagnement, comme condiment ou dans une soupe, les algues bretonnes se font une place dans nos assiettes. Mais si leur utilisation s’étend depuis une dizaine d’années, des freins subsistent quant à une exploitation à grande échelle.

algues alimentaires dans une assiette

Algues alimentaires présentées au CEVA : laminaires, laitue de mer et feuilles de nori. Crédit photo : Matthieu Naizet

« C’est fameux ! » Le bilan est clair en cet après-midi grisâtre : la soupe fait l’unanimité. Dans ce potage de la mer, des algues comme le nori, dulse et laitue de mer tourbillonnent entre deux coups de cuillère. À Carhaix, ils sont une dizaine réuni·e·s au restaurant coréen « Le Matin Calme » pour la déguster. Des mordu·e·s des algues, dont le but est de fédérer autour de leur association Food’Algues. « Nous cherchons à mettre en relation les consommateurs et les acteurs du secteur », assure Régine Quéva. Membre active de l’association, elle se présente comme spécialiste de la question, et ne cache pas son enthousiasme. « On marche sur des richesses insoupçonnées ! »

Food'Algues et feuilles de nori séchées

Les membres de l’association Food’Algues dégustent des chips de nori au restaurant « Le Matin Calme » de Carhaix (29).
Crédit photo : Flavien Larcade

Chaque année, en France, près de 70 000 à 90 000 tonnes d’algues sont exploitées. Et elles le sont à 90% par la Bretagne, qui fait figure de pionnière dans l’Hexagone. C’est beaucoup et peu à la fois, comparée à des pays comme le Japon ou la Chine. Au Japon, la consommation annuelle d’algues par personne est estimée entre 7 et 9 kg, ce qui correspond à la consommation moyenne annuelle de salade par personne en France. Selon une étude menée par Agrocampus Ouest de Rennes, 20 % des Français·e·s consomment « au moins une fois par mois des algues », et ce en petite quantité. Cette même étude stipule que seulement 1 % des algues exploitées en Bretagne sont utilisées pour la consommation. Ce qui correspond à « 5000 tonnes par an depuis environ cinq ans », précise le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Bretagne.

Un « marché de niche »

Cette tendance engendre la création d’un tout petit marché. « On est essentiellement sur un marché de niche qui tend à le rester », admet l’ingénieure, Marie Lesueur. «  Nous n’avons pas accès par exemple au prix à la tonne ou au kilo, contrairement à des produits de la vie courante. Cela signifie qu’il est compliqué de connaître l’évolution ou non du marché. » Un cloisonnement, renforcé par un manque de coopération entre les acteur·rice·s de la filière. « Nous ne communiquons pas entre nous, il n’y a pas d’unité », ajoute Christophe Caudan, commercial de la société d’exploitation d’algues Aléor. D’autant que, selon le pêcheur Denis Parenthoën, basé à Pleubian, l’entente serait difficile. « Des gens ont sectionné des câbles où étaient stockées des algues que je cultive. Lors d’une sortie en mer, j’ai aussi découvert que mon bateau avait été trafiqué. Je ne sais pas de qui il s’agit, mais j’ai dû porter plainte. » Avec son père, il ramasse chaque année 60 tonnes d’algues à destination des industriel·le·s, transformateur·rice·s et particulier·ère·s. « On s’est lancé dans les algues alimentaires il y a deux ans. On a senti l‘essor car les gens nous en demandaient. »

Besoin d’un·e « intermédiaire »

Mais pour les appréhender, encore faut-il être accompagné·e. Thierry Duizet l’a bien compris. Depuis quinze ans, ce Costarmoricain revend des algues transformées sur place dans son magasin Algues Armorique. « On est un intermédiaire pour les clients. Ils passent généralement se renseigner ici avant d’acheter en ligne », confie le gérant arborant un large sourire. Le responsable de cette boutique basée à Pléguien reçoit également les personnes pour des ateliers d’initiation. « On leur fait découvrir les secrets de préparation et de fabrication, les réglementations générales, le circuit de production… On ne manque jamais de questions au sujet de nos produits. » De tels ateliers, Régine Quéva en réalisent aussi avec l’autre association dont elle est présidente, Les Croqueuses d’algues. Ces moyens de sensibilisation au produit sont indispensables pour les consommat·eur·rice·s potentiel·le·s. « Il faut des accompagnateurs dans la démarche de manger des algues », confirme Marie Lesueur d’Agrocampus ouest.

Des algues sur le plan de travail du magasin

Algues alimentaires exposées lors des animations au magasin Algues Armorique de Pléguien (22).
Crédit photo : Flavien Larcade

« Pas cultivables en Bretagne »

Avec une vingtaine d’algues répertoriées comme comestibles, le choix ne manque pas. Parmi les plus courantes : la dulse, le kombu (tali, pour le nom donné en Bretagne, Ndlr) ou encore la laitue de mer. Mais toutes ne sont pas pas bretonnes. « Des algues comme le nori, la plus utilisée (pour les sushis notamment, Ndlr), ne sont pas cultivables en Bretagne. Il faut donc les importer », souligne Marie Lesueur. Ces produits dépendent de plus des conditions de culture. « Beaucoup d’industriels importent les algues car il n’y a pas assez de biomasse. Par exemple, Algolesko [entreprise de culture d’algues basée dans le Finistère, Ndlr] n’a pas récolté suffisamment cette année par rapport à leur demande », atteste Hélène Marfaing, chef de projet agro-alimentaire et nutrition au Centre d’étude et de valorisation des algues (Ceva) de Pleubian.

« les ressources sont fragiles, limitées et saisonnières »

L’expansion est d’autant plus difficile que, selon Thierry Duizet, « les ressources sont fragiles, limitées et saisonnières ». L’activité est aussi encadrée par un arrêté préfectoral du 15 février 2012. Le volume d’algues récoltées dépendent d’un calendrier et de critères de taille. Une algue comme la dulse sera cultivée du 1er avril au 31 décembre, et sa taille ne devra pas dépasser 25 cm.

Des contours à définir

Malgré tous ces freins, les algues alimentaires restent attractives. « Je ne suis pas sûre que cela arrivera à vitesse grand V, mais le secteur tend à s’étendre dans la consommation courante », soutient Marie Lesueur. Pour y parvenir, de grand·e·s acteur·rice·s du secteur des algues n’hésitent pas à investir dans cette activité alimentaire. La société Olmix, spécialisée dans l’utilisation d’algues pour les engrais et la nourriture animale, a acheté cette année des parts dans la société portugaise d’algues alimentaires Alga+. L’entreprise a également acquis au mois de septembre deux restaurants. L’objectif : mettre en avant les produits de la marque et se diversifier. « C’est dans un but de synergie » certifie Aurélie Garel, chargée de communication de la société Olmix, qui cultive le secret. « Je ne peux pas en dire plus, mais nos chercheurs travaillent actuellement sur les algues alimentaires. »

Si Olmix envisage bel et bien de poursuivre dans cette voie, il faudra alors faire attention à préserver les richesses des fonds marins. « La seule alternative possible pour préserver la biodiversité serait la culture alternative, c’est-à-dire hors du milieu maritime », évoque Philippe Potin, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), basé à la station de Roscoff (Finistère). Si la filière a du potentiel en Bretagne, reste à définir les contours de son avenir…

 

Flavien Larcade et Matthieu Naizet


En savoir plus: algues alimentaires et santé

Les algues alimentaires sont aussi sources de vertus. Divisées en trois groupes, vertes rouges et brunes, ces propriétés diffèrent en fonction des espèces. « Prenez les algues vertes par exemple. Elles ont les mêmes ancêtres que les plantes et ont des propriétés similaires. Elles sont naturellement riches en oligoéléments, en sucres, en protéines. Les rouges seront aussi plus riches en protéines que les brunes », précise le chercheur Philippe Potin.

 

Il faut tout de même modérer leur consommation. En août dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), met en garde sur les risques sanitaires. Dans une étude, elle précise que l’excès d’iode peut entraîner des troubles, notamment pour les personnes « atteintes de problèmes de thyroïde ». Cette étude se focalise sur les compléments alimentaires à base d’algues, et non sur les algues consommées fraîches comme l’affirme Philippe Potin :, « il n’y a pas de danger à consommer des algues fraîches. »

Pour aller plus loin sur la récolte d’algues, un document des professionnels de la filière et de la région permet de connaître toute la réglementation sur les algues et leur utilisation.

 

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