Sur l’île de Bréhat, gérer l’eau efficacement coûte cher

À Bréhat, les habitant·e·s doivent vivre au quotidien avec une ressource hydrique très chère. Derrière leur facture d’eau élevée, des choix politiques et une gestion assumée.

Arrivée Pointe de l’Arcouest. Pour continuer plus loin et parcourir les 3,5 kilomètres qui séparent le continent de l’île de Bréhat, il n’y a pas d’autres choix que de prendre le bateau. Lors de la traversée, on prend conscience des spécificités auxquelles les habitant·e·s d’une île sont confronté·e·s. Après 19 h, plus de navettes. Les services du quotidien, auxquels les continentaux·ales ne songent même pas, demandent aux îlien·ne·s une organisation adaptée.

C’est le cas pour la gestion de l’alimentation en eau et de son assainissement. Du fait de l’insularité, de l’absence de sources d’eau potable sur l’île, mais aussi du boom touristique, qui fait passer la population hivernale de 378 habitant·e·s permanent·e·s à une population journalière de près de 5 000 personnes en période estivale, ces deux services accusent un surcoût important et imposent une gestion irréprochable. Le manque d’eau disponible sur l’île a été compensé par une solution pragmatique : Bréhat est située non loin de la côte et des canalisations la relient directement au continent, alimentant l’île en eau toute l’année sans problème. « Pour une île avec sa population hivernale, Bréhat a des installations qui sont pour moi plus que correctes. C’est le prix de l’eau qui m’invite à être plus vigilant. Je vais plutôt regarder mon portefeuille », admet Josselin Pilon, arrivé il y a presque trois ans sur l’île.

L’eau plus chère qu’ailleurs

Le constat est sans appel. Selon l’Observatoire national des services d’eau et d’assainissement, le prix moyen du service de l’eau et de l’assainissement collectif en France s’élevait à 3,92 € par m³ TTC au 1er janvier 2014, pour une consommation de référence de 120 m³. Sur l’île de Bréhat, les habitant·e·s doivent payer presque trois fois ce prix : au 1er janvier 2016, la facture pour une consommation de référence équivalente s’élevait à 9,09 € par m³… Face à cette situation, les Bréhatin·e·s ont intégré dans leurs pratiques quotidiennes une gestion économe et raisonnée de leur usage de l’eau. « Nous utilisons beaucoup d’eau dans notre établissement, explique André Stéphane, propriétaire du restaurant Le Crech’Kerio. Pour faire la vaisselle, laver les légumes, on essaye de trouver des machines et des outils à cycles courts, avec des grands bacs, qui réutilisent l’eau. Je fais attention à chaque fois que je veux acheter une nouvelle machine pour trouver un outil efficace et économique. Nous consommons environ 500 m³ par an, pour une facture de 4 000-5 000 euros. » Sur la côte, cette facture serait trois ou quatre fois moins élevée.

L’assainissement fait grimper la facture

En se plongeant dans les factures d’eau des habitant·e·s de Bréhat, on remarque que c’est le prix du traitement des eaux usées qui fait flamber l’ensemble. Sur un prix global de 9,09 € par m³ en 2016, le prix payé pour l’eau potable était de 2,43 € par m³, mais montait à 6,66 € par m³ pour le prix du traitement des eaux usées. « En termes d’eau et d’assainissement, le prix est peut-être le plus cher des îles du Ponant », constate le maire de Bréhat.

Pourquoi l’assainissement coûte-t-il si cher ? Pour gérer les eaux usées de près de 600 résidences secondaires mais surtout des quelques 5 000 visiteur·euse·s quotidien·ne·s passant par les commerces de l’île, Bréhat dispose d’une station d’épuration très performante. « Une station membranaire, avec une technologie poussée, énergivore et coûteuse », détaille Olivier Brunner, directeur de la délégation armorique par intérim de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne.

Non seulement l’île a pris une grosse partie de la construction à sa charge, mais des surcoûts liés à la situation insulaire de Bréhat se sont ajoutés. « On estime que les travaux sur les îles coûtent entre 30 et 40 % plus cher que sur la côte », explique Olivier Brunner. Problème : les coûts de construction et de fonctionnement de cette station d’épuration touchent principalement un petit nombre d’habitations raccordées au réseau d’assainissement et l’utilisant toute l’année, soit environ 150 personnes. Pour eux, l’eau est chère toute l’année, alors que les résident·e·s secondaires se préoccupent peu de devoir payer le prix fort pendant quelques semaines estivales seulement.

Malgré des coûts importants, le dossier de l’assainissement n’a pas vraiment porté à débat sur l’île : les élu·e·s de la commune semblent avoir accepté que ces installations, incontournables pour préserver l’environnement, coûtent cher. Le choix s’est rapidement porté vers un contrat de délégation du service public (DSP), c’est-à-dire que la commune confie la gestion de cette compétence à une entreprise privée, Véolia en l’occurrence.

« On a étudié la possibilité d’une régie directe, en alternative au DSP, détaille Patrick Manceau, qui a conseillé Bréhat dans ses choix de gestion de l’eau. Nous n’avons pas réalisé d’étude approfondie mais j’ai dressé les avantages et les inconvénients des deux modes de gestion. La conclusion a été très évidente pour les membres du conseil municipal. Concernant la régie directe, c’était trop compliqué. Il faudrait disposer à la fois de chimistes, d’électriciens, de techniciens, de plombiers. Pour la ville, qui possède peu de personnel, les coûts seraient trop élevés. »

Station dépuration sur l'île de Bréhat

La station d’épuration de Bréhat est dotée d’une technologie assez pointue, qui permet de répondre aux besoin de la population fluctuante de l’île. Photo : Dorian Girard

Réduire les dépenses des insulaires

Dans l’objectif de doubler le nombre de logements raccordés au réseau (environ 150 avant les travaux), et ainsi faire reposer le coût du traitement des eaux usées sur un plus grand nombre d’habitant·e·s, la mairie a lancé courant 2017 des travaux d’agrandissement du réseau d’assainissement avec cinq nouvelles tranches sur l’île. Le coût total était estimé à 1 633 000 € au début du projet. Et le maire de Bréhat de préciser : « Nous avons une transfiguration géologique spécifique. Lors de la réalisation des nouvelles tranches d’assainissement, nous avons eu un socle de roche de près de 20 mètres, très difficile à casser. Ce qui augmente les coûts. »

Quid de l’alimentation en eau potable ? L’île de Bréhat fonctionne également avec Véolia dans le cadre d’un contrat de délégation du service public. L’île est directement raccordée au continent par deux pipelines sous marines et alimentée par une eau vendue par GP3A (Guingamp Paimpol, Armor-Argoat Agglomération). Néanmoins, avec ce fonctionnement, la commune ne dispose pas de marge de manoeuvre, car elle dépend du prix qui est fixé par GP3A. « Le gros souci, c’est que Bréhat devient ainsi dépendante du continent, analyse Patrick Manceau, du Syndicat départemental d’alimentation en eau potable des Côtes-d’Armor. Elle n’a pas de forage sur l’Île et tout provient du continent. C’est un obstacle car elle ne maîtrise pas le coût financier. »

Et de poursuivre : « Jusqu’au 31 décembre 2017, Bréhat faisait partie du groupement de communes de Paimpol. L’alimentation en eau était gérée avec un contrat de délégation du service public. Avec la création de GP3A début 2017, la communauté d’agglomération a probablement décidé de couper les ponts avec Bréhat. La mairie a mis du temps à réagir et m’a demandé de préparer et présenter un document sur la délégation du service public, indique le technicien. Au vu des avantages et des inconvénients, le maire a estimé qu’il n’avait pas les moyens de fonctionner en régie directe. Je pense qu’il a choisi le contrat DSP pour rester dans quelque chose qu’il connaissait.  »

Le choix d’une délégation du service public n’a pas fait l’unanimité. Henri Simon, membre de l’opposition à Bréhat, prône une régie directe, c’est-à-dire gérer directement le service, pour l’alimentation en eau potable de la commune de Bréhat. « Il suffirait d’acheter l’eau directement à GP3A sans passer par Véolia et la commune assurerait l’entretien des tuyaux. Cela ne demande pas une technicité très grande, permet également de maîtriser le coût et de ne pas subir une actualisation annuelle de la part de l’exploitant », explique-t-il.

Des bateaux sur le sable, près du port de l'île de Bréhat, en fin de journée à marée basse.

Sur l’île de Bréhat, la gestion de la ressource hydrique est onéreuse par rapport à la côte. Photo : Dorian Girard.

Pour essayer de réduire le coût de la facture d’eau des Bréhatin·e·s, le maire voit loin : il souhaite à long terme faire de Bréhat une île autonome en énergie, même s’il reste encore vague sur le sujet. Cette envie s’inscrit dans un choix politique important : que Bréhat soit maîtresse de ses compétences, en restant « commune isolée de la République », c’est-à-dire qu’elle n’appartient à aucune intercommunalité. « On est presque indépendant. C’est pourquoi on étudie d’autres pistes pour l’alimentation en eau, qui n’existent pas encore sur les autres Îles du Ponant. »

Ce positionnement politique n’est pas sans conséquence sur les relations qu’entretient la ville avec les autres acteur·rice·s du territoire. Des tensions sont notamment apparues avec GP3A. L’un des nœuds de cette tension : les deux collectivités ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’identité des propriétaires des installations sous-marines reliant Bréhat à la côte. Ces installations représentant un coût que ni l’île de Bréhat, ni GP3A ne souhaitent supporter.

Patrick Manceau a travaillé avec les deux parties. « Les relations entre les deux ne sont pas très fluides sur le sujet de l’eau. On reproche à Bréhat d’être isolée. Puisqu’elle fait ce choix, on lui fait assumer les conséquences. Il n’y a pas de cadeau de fait. Mais le prix que paye Bréhat est justifié et le maire l’a reconnu. Le tarif est plus cher car la commune est seule. Il n’y a pas de mutualisation. »

C’est aussi pour sortir de ces tensions que le maire de Bréhat souhaite être autonome en énergie et reprendre directement la compétence d’alimentation en eau. « On dépend de GP3A pour l’eau, on n’a rien à dire et ça nous étrangle un peu. Je voudrais avoir le choix. » Même si elles portent à débat, ces options sont figées jusqu’aux 31 décembre 2023 pour l’eau potable et 2025 pour l’assainissement, dates de fin des contrats de délégation du service public avec Véolia. Et d’ici-là les habitant·e·s de Bréhat ne peuvent compter que sur leur gestion quotidienne pour réduire le montant de leur facture d’eau.

Dorian Girard et Omar Kokach

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