Algues vertes : la marée incessante pour l’agriculture

Les marées vertes persistent dans les Côtes-d’Armor. Face à ce problème environnemental et sanitaire, Lannion-Trégor Communauté et la chambre d’agriculture tentent d’apporter des solutions à long terme avec une politique incitative auprès des agriculteur·rice·s. L’association Sauvegarde du Trégor trouve le plan insuffisant.

Des algues vertes sont encore ramassées sur la plage de Saint-Miche-en-Grève, la semaine du 18 septembre. Photo : Aurélien Defer.

Des algues vertes sont encore ramassées sur la plage de Saint-Miche-en-Grève, la semaine du 18 septembre. Photo : Aurélien Defer.

« Je surveille régulièrement les petites criques où il y a des algues, ça sent parfois l’oeuf pourri. Je contrôle avec mon détecteur de gaz, mais on ne peut pas y faire grand chose », raconte Yves-Marie Le Lay, président de l’association Sauvegarde du Trégor. Les algues dont parle ce passionné d’environnement, sont les tristement connues algues vertes, qui prolifèrent sur les côtes bretonnes, en raison du taux de nitrate trop élevé dans l’eau. Lorsqu’elles pourrissent, elles deviennent potentiellement dangereuses pour la santé : le sulfure d’hydrogène qu’elles dégagent peut être mortel lorsqu’il est inhalé. Un cheval est mort, en 2009, après avoir respiré ces substances. En 2017, environ 15 000 tonnes ont été ramassées sur les côtes bretonnes entre janvier et septembre. Cette année là, les algues vertes n’ont jamais été aussi présentes sur les plages. L’hiver précédent, calme, leur a permis de se reproduire de façon importante. En 2018, entre janvier et septembre, 3 000 tonnes seulement ont été collectées. Impossible, pourtant, de crier victoire. Car d’une année sur l’autre, les conditions météorologiques ont une influence décisive, comme par exemple un apport de lumière important : « Il y a de nombreux paramètres qui peuvent déstabiliser le système. La concentration en nitrates elle-même peut varier selon les pluies, le lessivage des sols étant plus important », affirme Sylvain Ballu, chef de projet surveillance au Centre d’études et de valorisation des algues (Ceva).

Afin de minimiser le danger pour l’être humain, les algues vertes sont ramassées depuis les années 1990 par les collectivités territoriales. Mais selon Sylvain Ballu, le ramassage n’est pas une solution à long terme : celui-ci ne résout pas le coeur du problème, le taux de nitrates dans l’eau, qui nourrissent les algues. « Le ramassage provoque beaucoup de problèmes. Si on retire toutes les algues vertes, il n’y aura plus d’éléments pour absorber les nitrates, ce qui laissera place à du plancton. Mais d’un autre côté, ces amas laissés perturbent l’écosystème, la biomasse étouffe la vie sur la plage », précise Sylvain Ballu. De toutes manières, ce « qu’on ramasse sur la plage représente seulement 1 % de la masse d’algues. On ne peut pas tout ramasser, il y a des endroits où les rochers ne permettent pas aux engins de passer. » Sans parler des petits tas d’algues qui s’égrènent sur toute la plage et ne peuvent pas être retirés sans risquer d extraire d’énormes quantités de sable.

Nouveau plan, mêmes objectifs

« C’est en 2009, après la mort du cheval sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, que des plans algues vertes ont commencé », se souvient Yves-Marie Le Lay. Selon lui, ce sont les alertes de son association qui ont permis de médiatiser le phénomène depuis le début des années 1990 et de faire réagir l’Etat. Pourtant, ce n’est qu’en 2011 que le Plan de lutte contre les algues vertes (Plav) voit le jour à la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor en partenariat avec Lannion-Trégor Communauté. Objectif : inciter les agriculteur·rice·s à changer leurs pratiques pour rejeter moins de nitrates dans les rivières bretonnes. Cinq ans plus tard, les marées vertes sont moins nombreuses. Mais des accidents dramatiques surviennent encore : l’association Sauvegarde du Trégor reste convaincue que la mort d’un joggeur en 2016 dans une autre baie touchée, à Saint-Brieuc, est due à l’inhalation d’hydrogène sulfuré dégagé par les algues vertes. La justice n’a pourtant pas établi de lien direct entre le gaz et la mort du joggeur, et l’affaire a été classée sans suite.

Le second plan, lancé en 2017, est très proche du précédent. Camille Le Guillou, conseillère auprès des agriculteur·rice·s sur le plan contre les algues vertes, se rend sur les exploitations autour de Lannion pour élaborer des diagnostics et proposer de nouvelles méthodes de production. « On a mis en place une boucle vertueuse : les agriculteurs qui font des changements comme mettre plus d’herbage, biner le maïs, faire moins de maïs et un peu plus de betterave, gagnent des points pour bénéficier de certaines missions sur leurs exploitations, payées par la chambre d’Agriculture et Lannion-Trégor Communauté » , décrit Camille Le Guillou. Basée sur le volontariat, cette boucle vertueuse a été réellement lancée en juillet 2018 avec l’envoi d’un courrier. « Les agriculteurs seront relancés prochainement par téléphone », précise Camille Le Guillou.

Chacun son but

La chambre d’agriculture et Lannion-Trégor Communauté visent 18 milligrammes de nitrates par litre d’eau à la fin du plan en 2021, soit 4 mg de moins que le taux actuel. « Le gouvernement demande 10 mg, mais c’est compliqué. Si en 2021 on atteignait déjà 15 mg, cela changerait tout », avance Jean-Claude Lamandé, vice-président de Lannion-Trégor Communauté en charge de l’environnement et président du Comité des bassins versants de la Lieue de Grève. « Tant que des limites ne sont pas imposées aux agriculteurs ça ne va pas marcher. Il y a des politiques de sensibilisation aux marées vertes depuis 20 ans ! Ce sont des opérations bisounours, c’est trop gentil. Nicolas Hulot, ancien ministre de l’Écologie a dénoncé une politique de petits pas, et c’est ce que nous faisons aussi », lâche Yves-Marie Le Lay face à une nouvelle marée verte sur la baie de Saint-Michel-en-Grève.

« C’est compliqué d’atteindre un chiffre précis tel que 18 mg par litre d’eau, c’est plus facile de s’imposer un objectif assez bas comme le fait le gouvernement pour encourager les agriculteurs. Il est clair que s’il y a une baisse de concentration de nitrates dans l’eau, le système sera déséquilibré. Ce ne sont jamais quelques milligrammes de nitrates qui font les marées vertes. Avec des taux entre 3 et 5 mg, il n’y aurait pas de marées », tempère Sylvain Ballu.

Yves-Marie Le Lay aimerait au contraire voir les exigences du gouvernement à la hausse : « On devrait inverser le schéma, donner de la valeur à l’eau et tout faire pour arriver à un taux de nitrates nul, avec une eau d’une telle qualité qu’on pourrait la vendre ! Il faut faire de l’eau une richesse et faire en sorte que les agriculteurs la préservent. »

Sylvain Ballu rappelle que les résultats du plan ne sont pas mesurables immédiatement : « Il se passe environ 10 ans entre le moment où la goutte d’eau tombe sur terre jusqu’au moment où celle-ci atteint la nappe phréatique, et de nouveau 10 ans pour qu’elle passe de la nappe à la source. Sur un litre d’eau, prélevé aujourd’hui, la moitié aura été impactée par l’agriculture pratiquée il y a dix ans ! »

« On ne peut pas toujours rejeter la faute sur les agriculteurs »

D’après un rapport du CNRS publié en 2012, 90 % des apports azotés responsables des marées vertes sont d’origine agricole. Malgré ce chiffre accablant, la pierre est rarement jetée directement aux agriculteur·rice·s. « Les responsables ce sont les lobbies de l’agriculture intensive : la FNSEA et la chambre d’agriculture » déclare Yves-Marie Le Lay, amère. « On ne peut pas toujours rejeter la faute sur les agriculteurs. On manque parfois de réponses, les scientifiques ne nous donnent pas de solution pour que les marées vertes s’arrêtent », se défend Edwige Kerboriou, agricultrice élue à la chambre d’agriculture.

Les habitudes des exploitant·e·s peinent aussi à évoluer. « C’est parfois difficile de changer sa façon de travailler, on leur a appris à faire de cette façon. Il y a souvent le poids de la tradition familiale aussi », analyse Camille Le Guillou. « On a déjà tellement de contraintes, je ne vois pas comment on pourrait nous en ajouter. J’ai appris récemment que je n’avais pas le droit d’épandre à moins de 500 mètres du Léguer. Je reçois les courriers de la chambre d’agriculture, mais je n’ai pas le temps de m’en occuper », explique Philippe Le Merrer, exploitant laitier à Lannion. Le passage de la théorie à la pratique n’est pas toujours évident. Camille Le Guillou espère une adhésion au plan contre les algues vertes de 130 agriculteur·rice·s sur les les 150 installés sur le territoire de la Lieue de Grève, dont elle s’occupe. « Il faut faire ce qui est possible humainement et économiquement, les contraintes économiques des agriculteurs sont à prendre en compte », ajoute Sylvain Ballu.

Côté associatif, Yves-Marie Le Lay explique avoir proposé, avec Sauvegarde du Trégor, des solutions passant par des expérimentations de nouvelles cultures comme le lin, le trèfle, l’herbe ou le chanvre qui permettent une cycle d’azote plus harmonieux. « Dans le plan d’expérience que nous avons présenté, si l’agriculteur était perdant, la collectivité compensait la différence avec l’année précédente, sinon il gardait le bénéfice pour lui. Personne n’a jamais osé nous dire non », se souvient Yves-Marie Le Lay. En attendant, pouvoirs publics, scientifiques, agriculteur·rice·s et associations, tentent d’avancer tou·te·s dans l’objectif de réduire le taux de nitrates par litre d’eau, les algues elles, n’attendent pas.


EN SAVOIR PLUS

« Jamais deux années identiques »

Depuis une quinzaine d’années, le Ceva constate une baisse de la concentration en nitrates dans les eaux de Bretagne. L’organisme effectue régulièrement des prélèvements d’algues et des vols au-dessus des bassins versants. « Il n’y a jamais deux années identiques ! Sur la surface couverte, aucune baie ne se ressemble », souligne Sylvain Ballu.

Sur certains bassins, les conditions sont réunies pour faciliter la prolifération d’algues : zones d’eaux claires et peu profondes, confinement des eaux permettant aux nutriments de stagner,  sable réfléchissant le soleil… « Après la baie de Saint-Michel-en-Grève, il y a une cuvette au-delà de la zone de retrait où stagnent les algues. Lorsque les conditions météorologiques sont favorables, celle-ci se remplit plus ou moins vite », note Yves-Marie Le Lay.  « La zone est naturellement favorable au développement d’algues vertes. La situation s’améliorera s’il y a une baisse du taux de nitrates. Avec des taux naturels, il n’y aurait pas de problème. La concentration actuelle provoque forcément une prolifération d’algues, qui varie selon les aléas météorologiques » ,  précise Sylvain Ballu.

 

 


Célia Maciolek et Roxane de Witte

 

 

 

 

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