Sur le littoral, la gestion est un ménage à trois

La biodiversité se meurt. Les rapports de l’IPBES, groupe intergouvernemental spécialisé dans la biodiversité, l’ont encore démontré cette année. Face à la dégradation de nos environnements, mieux vaut compter sur de bon·ne·s gardien·ne·s. C’est précisément le rôle des gestionnaires de zones naturelles, à l’image de Quentin Le Hervé, garde du littoral à Ploumanac’h. Il doit composer avec de multiples acteurs dans un système rodé mais complexe.

Quentin Le Hervé, garde du littoral, surveille en permanence ce site naturel.

30 hectares de landes parsemées de blocs de granit rose pour 12 km de sentier qui les traversent. Et plus de 800 000 personnes qui les visitent chaque année. Le site naturel de Ploumanac’h est une attraction incontournable pour les promeneur·se·s et touristes de passage. Sur le parking du site, les plaques d’immatriculation des voitures garées en témoignent : Île de France, Paca, Grand Est, Allemagne… En ce début septembre, les visiteur·rice·s de toutes origines se succèdent. Une réputation à double tranchant.

Bénéfique économiquement au Trégor, elle peut être une menace pour la biodiversité des landes. Encadrer les visiteur·rice·s pour éviter toute dégradation est une des missions de la Maison du Littoral et de ses gardes. Au premier étage, se trouve le bureau de Quentin Le Hervé. Reconnaissable avec son polo gris couvert d’écussons, il travaille sur les lieux depuis 7 ans et demi. Garde du littoral, il fait également partie de la police de l’environnement depuis 2 ans.

De l’entretien à la cogestion

« Après mon BTS en gestion et protection de la nature, je voulais enchaîner sur une licence, mais j’ai senti que ce n’était pas le bon moment. Alors, j’ai eu l’opportunité de faire un service civique ici durant une année, à l’issue de laquelle on m’a proposé de rester », explique-t-il. Il dépend de la mairie qui l’a recruté en tant qu’agent « pour entretenir les terrains, mais aussi faire un suivi de la faune et de la flore. » 

Tel le phare de Ploumanac’h, il joue un rôle de vigie. À ses côtés, d’autres instances l’accompagnent. Propriétaires publics ou privés, associations… la cogestion est monnaie courante pour les espaces naturels protégés. Chaque acteur qui la compose y joue un rôle précis.  Entre eux, les discussions sont permanentes et les dossiers administratifs, une routine. « Le site de Ploumanac’h est en périmètre Natura 2000. Mais il y a d’autres couches de protection qui entrent en ligne de compte : on est en site protégé, en espace remarquable et parfois en site classé. Donc, vous devez réaliser toutes les demandes administratives propres à chaque statut. Ça fait un certain nombre de dossiers à monter », reconnaît Stéphane Guiguen, opérateur Natura 2000 à Lannion-Trégor Communauté (LTC).

Les 30 hectares du site de Ploumanac’h sont composés en partie de blocs de granit rose.

De multiples acteurs en jeu

Rémunéré par la mairie de Perros-Guirec et habillé par le Conservatoire du littoral, Quentin Le Hervé navigue entre ces institutions. La première est l’une des gestionnaires du site, la seconde le propriétaire foncier. « Comme on le dit souvent, nous sommes les yeux et les oreilles du Conservatoire, illustre t-il. C’est notre rôle de faire remonter les informations et, lui, va pouvoir mettre des moyens pour remédier à certains soucis. » 

Dans certains sites demeurent encore des propriétaires privés. Le Conservatoire du littoral a également pour mission de négocier ces parcelles. « Quand le Conservatoire achète des terrains, il définit des zones d’intervention. S’il y a vente d’un terrain sur cette zone, alors le Conservatoire est prioritaire », précise Stéphane Guiguen.

 

Un besoin important de fonds

« La cogestion, c’est aussi des arrangements financiers. En répartissant équitablement, on évite que cela freine les élus politiques », avance Quentin Le Hervé. En effet, sans l’accord de la commune, aucuns travaux ne peuvent être effectués. Les derniers en date remontent à 2017, avec le réaménagement de la cale du bateau de sauvetage. LTC a également son mot à dire en tant qu’opérateur Natura 2000, programme européen destiné à préserver la biodiversité remarquable. Les fonds levés ont permis de restaurer entièrement les landes de Ploumanac’h. Elles ont été aménagées de façon à ce que les zones les plus fragiles soient protégées des piétinements.

 

Cet été, des visiteur·rice·s se sont écarté·e·s du sentier balisé pour traverser une lande. L’absence sur dix centimètres de grillage au sol, due à la présence d’un granit, portait à confusion. Les gardes du littoral sont là pour veiller à ce que ces incidents ne se produisent pas. Lorsqu’ils·elles arrivent trop tard, il faut alors repenser l’espace pour que l’interdiction d’y aller soit plus visible. « Entre le piétinement et la sécheresse, la végétation a été mise à mal et a commencé à disparaître, décrit avec dépit Quentin Le Hervé. Comme les sentiers sont marqués par le passage, ils attirent l’oeil. Ça donne un cercle vicieux ».  La saison touristique touche à sa fin mais ses collègues et lui ont déjà remplacé une cinquantaine de poteaux et installé une trentaine de mètres de ganivelle, aux frais du Conservatoire du Littoral.

Ici, Quentin Le Hervé se penche une lande abîmée par le passage de visiteurs peu soucieux.

Cogestionnaires, je t’aime, moi non plus

La cogestion implique une communication constante entre les trois protagonistes. Il peut arriver, par exemple, qu’une espèce exotique dans le jardin d’une propriété privée, située en zone naturelle, se développe hors de chez son propriétaire. « Dans ce cas, il y a un contact avec la personne concernée car les agents comme le Conservatoire ne peuvent intervenir à la source », précise Stéphane Guiguen. Sur Ploumanac’h, à entendre Quentin Le Hervé, les rapports avec propriétaires privés sont sains.

 

Ici en vidéo, Quentin Le Hervé explique comment la cessions d’un terrain au Conservatoire du Littoral a été facilitée par un héritier.

La cogestion de Ploumanac’h se déroule ainsi sans heurts particuliers. L’intérêt des élus municipaux pour la préservation du littoral facilite la tâche. « Le maire actuel est assez investi sur ces questions à l’échelle nationale. Il participe à des colloques et même à des regroupements d’élus du littoral pour continuer à prêcher la bonne parole », conclut Quentin Le Hervé.

 

Garance DIACONU, Martin ESPOSITO et Léo-Paul TIXADOR

 

Ça se dispute

En mettant autour de la table plusieurs acteur·rice·s, la cogestion peut parfois mener à des conflits d’intérêts. C’est le cas sur le sentier des Douaniers de Saint-Briac, près de Dinard.
Longeant le bord de mer, ce chemin était pourtant inaccessible jusqu’en janvier dernier. À l’origine, la loi du 31 décembre 1976 fixe le principe d’une servitude de trois mètres sur les propriétés privées en bord de mer, permettant aux randonneurs de passer. Un arrêté préfectoral a été signé en 1982 pour autoriser ce chemin, mais il avait été annulé par le Conseil d’État, en 1988.
La raison ? Un vice de forme, pointé via les recours de riches riverains. “Parmi les propriétaires concernés, figurent notamment l’héritier d’une grande entreprise de transports routiers (domicilié au Panama), un président de chambre à la Cour des comptes ou encore la famille Forbes, dont sont issus l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry, et l’ancien ministre de l’Environnement Brice Lalonde”, indique Le Télégramme.
Après 37 ans d’affrontements judiciaires entre les propriétaires et des associations, le chemin est actuellement accessible à pied. Le tracé longe d’un côté le littoral et de l’autre les propriétés, empiétant même sur la margelle d’une piscine. Des appels sont encore d’actualité et le chemin de l’apaisement semble encore long, sur ce que nos confrères du Télégramme appellent le sentier “de la discorde”. Une situation toutefois unique et qui ne concerne aucunement les landes de Ploumanac’h.

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