Semences paysannes, à la reconquête du vivant

Des fruits et légumes savoureux, ça deviendrait presque un mythe. Depuis les années 2000, des agriculteur·rice·s cherchent à redonner du goût à leurs productions en cultivant à partir de semences paysannes. Entre le 14 et le 29  septembre se déroulent deux semaines dédiées à ce modèle agricole, à cette occasion, partout en France, se tiennent des événements. Cette pratique consiste à ne plus acheter de semences, mais à les reproduire soi-même, pour sortir d’une dépendance aux groupes industriels. Les partisan·e·s de la semence paysanne s’auto-alimentent en graines et proposent des variétés adaptées au territoire.

 

Au milieu d’une forêt de serres se trouve Jonathan Chabert, aux petits soins pour ses tomates. Le grand jeune homme observe avec attention ses centaines de variétés de fruits et légumes pousser avec attention. Le « Jardin de la Perrière » est installé à Plédéliac, dans les Côtes-d’Armor, depuis 2012. Dans le potager, une multitude de fruits et légumes est cultivée, aux aspects et aux goûts tous différents. Si cet agriculteur propose autant de parfums, c’est grâce à ses graines. Ce maraîcher a adopté le modèle des semences paysannes. Les semences qu’il plante, il ne les achète pas, il les produit lui-même grâce aux légumes de l’année précédente. Un mode de culture qu’il a découvert grâce à ses pairs, lors de stages. « Lorsque j’ai repris la ferme, j’ai cultivé les variétés qui s’y trouvaient, majoritairement des variétés hybrides (issus d’un croisement entre deux variétés d’une même espèce). Puis, j’ai développé les productions des paysans avec qui j’ai travaillé. », confie-t-il. L’agriculture en semences paysannes a vite conquis le jeune cultivateur. Pourtant, ce n’est pas le modèle agricole en maraîchage le plus répandu. La plupart des producteur·rice·s achètent leurs semences à  des entreprises, dont quatre multinationales du domaine agricole. La diversité des fruits et légumes se perd au profit des graines les plus rentables. Aujourd’hui, 75 % des variétés comestibles ont disparu en moins d’un siècle et seulement douze espèces assurent les trois quarts de notre alimentation, principalement composée de céréales, selon la FAO (Food and agriculture organisation).

 

 

La France : « jardin mondial des semences industrielles »

Les cultivateur·rice·s  qui produisent leurs propres semences ne sont qu’une poignée en France, paradis de la semence hybride. Selon le Ministère de l’Agriculture, l’Hexagone en est le premier producteur européen et compte dans ses rangs des semenciers comme Limagrain, quatrième producteur mondial selon le groupe industriel. L’Union Française des Semenciers parle du pays comme du « Premier jardin mondial des semences ». Cela donne aussi à la France beaucoup de pouvoir en terme d’influence sur les législations européennes, qui sont, à l’heure actuelle orientées par les grandes firmes du secteur agroalimentaire. Chaque année, le marché des semences rapporte 1,45 milliard d’euros, toujours selon le Ministère. Pour mieux contrôler la production de semences, le Ministère de l’Agriculture a mis met en place, dès 1949, le Catalogue officiel des variétés, dans le but d’assurer la sécurité alimentaire du pays. Le service de certification de ce catalogue est supervisé par le GNIS (interprofession des semences et plants). L’enjeu est important, car une semence ne peut être commercialisée si elle n’est pas certifiée. Pour entrer dans ce catalogue, il faut passer une série de tests réalisés par le GEVES (Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences). Homogénéité et stabilité sont de rigueur pour y apparaître, impossible donc pour une plante biologique de répondre à ces critères influencés par les groupes semenciers qui développent chaque année de nouvelles espèces hybrides, reconnaissables par la mention F1.

 

Les semences paysannes pour conserver la biodiversité :

Les semences sont donc à conserver pour protéger la biodiversité, car elles assurent l’évolution d’une espèce. « Les semences paysannes sont diversifiées et hétérogènes, toutes les graines ne possèdent pas un même gène. Chaque graine donne naissance à une plante différente. À l’inverse, en agriculture industrielle, chaque graine a le même gène donc chaque plante est identique. Cultiver en semence paysanne permet donc de conserver la biodiversité », affirme Véronique Chable, ingénieure de recherche à l’INRA (Institut national de la recherche agronomique). En agriculture paysanne, le meilleur plan est sélectionné chaque année, et reproduit afin d’obtenir un produit de qualité, robuste, et résistant aux variations météorologiques. Selon Elise Demeulenaere, chercheuse au CNRS, les semences paysannes permettraient d’assurer une alimentation saine et équilibrée pour les années à venir. « Les variétés anciennes et de pays que le Réseau Semence Paysanne remet en culture sont des variétés qui sont souvent adaptées à des conditions plus rustiques que les variétés modernes et avec le dérèglement climatique on va se retrouver avec des conditions de cultures qui peuvent être par endroit un peu limites,  donc les semences paysannes peuvent être plus adaptées à ces situations locales » affirme-t-elle dans une interview pour le Muséum national d’Histoire naturelle en 2015.

 

Les semences paysannes, le choix d’une autre voie

En Bretagne, des associations locales et des cultivateur·rice·s  se battent pour redonner un sens au travail de la terre. « Leurs motivations sont hétérogènes et diverses : elles combinent la passion pour la conservation de variétés régionales ou anciennes […] la nécessité de trouver des variétés rustiques adaptées [à leurs environnements] », soulignent Elise Demeulenaere et Christophe Bonneuil chercheurs au CNRS, dans un article nommé « Des Semences en partage » publié dans la revue Techniques et Culture en 2011.

Retrouver la diversité des cultures demande néanmoins de nombreuses années. Le travail est en partie mené par des chercheur·euse·s, comme Véronique Chable qui collabore avec le Réseau Semences Paysannes (RSP) , afin de redonner vie aux semences délaissées pendant quelques décennies. « Aujourd’hui, les associations, les chercheur·euse·s et les producteur·rice·s  apprennent ensemble à retrouver les savoir-faire de la sélection de graines, car peu des agriculteurs savent cultiver ces semences », déclare-t-elle. Le RSP travaille avec une leur soixantaine d’associations pour permettre l’échange des semences entre professionnel·le·s et amateur·rice·s. Il est affirmé sur leur brochure de formation : « Politiquement au sein du RSP, une vision est partagée concernant les semences paysannes : ces dernières sont considérées comme “un commun”. Il s’agit de gérer une ressource avec des règles d’usage définies collectivement au sein d’un groupe. Ainsi, l’objectif en travaillant des semences paysannes n’est pas de les vendre ou de les commercialiser, mais bien de les gérer ensemble. »

 

L’échange au cœur de la production paysanne

Pour les agriculteur·rice·s , dire non à l’achat de semences n’est pas anodin. Pour refuser leur utilisation, ils ont besoin de connaissances et des savoir-faire pour choisir et cultiver ces semences. En Bretagne, l’association Kaol kozh permet de réunir des producteur·rice·s pratiquant les semences paysannes. L’association répertorie les graines cultivables en terre bretonne. Les agriculteur·rice·s y adhèrent pour obtenir des graines. « À Kaol Kozh, nous mettons en relation les maraîcher·ère·s. Nous proposons une base sur laquelle chacun peut retrouver les graines dont d’autres disposent ou indiquer celles dont ils ont besoin. Nous proposons aussi aux agriculteur·rice·s de vendre leurs semences, à travers la facturation d’un service, celui de multiplier des graines. Ils partagent en même temps leurs savoir-faire », présente Marc Sire, représentant de Kaol Kozh. C’est aussi une sécurité pour les agriculteur·rice·s  qui savent où retrouver leurs semences si jamais la variété disparaissait sur leurs terres. « Si la reproduction ne marche pas chez moi, j’ai donné une partie de mes semences, je sais où retrouver ma variété, c’est mon assurance », confie Jonathan Chabert, l’agriculteur.

 

Des actions de sensibilisation qui se multiplient :

Peu à peu, les défenseur·euse·s de l’agriculture en semence paysanne s’entourent et cherchent des modes d’action pour répandre leurs pratiques agricoles. Pour Kaol Kozh, la nouveauté réside dans la création de leur Maison de Semences Paysannes. Dans le jardin de cette vieille bâtisse située à Roscoff, Marc Sire, représentant de Kaol Kozh, fait pousser les variétés que l’association possède. Si ce lieu servira aux agriculteur·rice·s, il est aussi un outil de communication sur les semences paysannes. Durant l’été 2019, environ 200 personnes ont pu visiter ce jardin. Dans les allées se trouvent beaucoup de variété, comme l’oignons roses de Roscoff et autres choux de Lorient. Lors de la visite, Marc Sire raconte l’histoire de ces légumes. Aujourd’hui, Kaol Kozh cherche des animations pour attirer un plus grand public dans ce lieu. Un défi, car l’intérêt pour les semences paysannes concerne plutôt les adeptes de l’agriculture biologique ou du moins naturelle, sans intrants chimiques. Mais pour attirer un public plus large, Kaol Kozh a déjà trouvé une solution. Depuis 2018, elle collabore, pour une durée de 5 ans, avec l’enseigne Carrefour en partenariat avec Biobreizh, une association de producteurs. Biobreizh fait le relais entre les légumes de Kaol Kozh et le supermarché. La part de ces légumes restent dans une moindre mesure par rapport à ceux issus de l’agriculture industrielle. Un accord qui plaît aux producteur·rice·s. Ils y voient l’ouverture d’un nouveau marché. Alors pour vendre leurs légumes, les producteur·rice·s en semences paysannes ne semblent pas pouvoir tourner totalement le dos aux grandes entreprises.

 

Un modèle coincé à l’échelle locale

L’alimentation devient une importante préoccupation pour les citoyen·ne·s qui voient les risques pour la santé d’une alimentation malsaine. Avec leurs semences naturelles et adaptées au territoire, les producteur·rice·s en semences paysannes semblent apporter des réponses à ce défi contemporain. Mais leurs cultures ne sont pas accessibles à tous. Consommer des légumes en semences paysannes présuppose d’être déjà sensible au mode de production maraîchère. Et ces fruits et légumes ne se trouvent pas partout. Les légumes issus de semences paysannes sont majoritairement vendus dans les coopératives biologiques, les AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), au marché ou directement chez le producteur·rice. Ces produits qui semblent donc réservés à une tranche de la population. Ces légumes ne sont pas non plus accessibles à tous, du fait de leur difficulté à pousser sur des territoires différents. Chaque graine possède ses propriétés et ne peut pousser dans tous les milieux. Ces conditions contraignent les habitant·e·s à consommer uniquement des produits qui poussent sur leur territoire. L’accès à une diversité de fruits et légumes que semble proposer l’agriculture en semence paysanne reste restreint par des critères sociaux, économiques et géographiques.

Le GNIS assure lui aussi proposer une grande variété de fruits et légumes sur tout le territoire français. Lorsque l’enseigne Carrefour a réalisé une campagne publicitaire en 2017 sur l’arrivée des légumes issus de semences paysannes sur ses étalages, le GNIS, n’a que peu apprécié ce retournement de veste. Dans un communiqué de presse datant du 20 septembre 2017, l’organisme assure que « Les sélectionneur·euse·s publics et privés sont impliqués dans la préservation de la biodiversité : ils ont conservé les variétés anciennes quand elles étaient abandonnées de la grande distribution et, par force, des consommateur·rice·s. Ils disposent ainsi dans leurs collections de plus de 2000 variétés de tomates, 4000 de piments et de poivrons, 1000 de carottes …. qu’ils mettent à disposition de tous ».

Eva Dumand et Emma Fortin

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