Économie vs écologie : la guerre du sable

D’un côté, les industriels, les machines et la fumée. De l’autre, la faune, la flore et les écolos. Les luttes pour la préservation de l’environnement existent depuis toujours et sont souvent associées à des stéréotypes. Mais aujourd’hui, ces combats évoluent et prennent de plus en plus d’ampleur. Les petites associations peuvent devenir de véritables groupes d’intérêt et se battent parfois aux côtés des élu.e.s locaux.ales. Un réel pouvoir face aux grandes entreprises qui tentent d’implanter leurs projets. Zoom sur le groupe Roullier, et son projet d’extraction de sable en baie de Lannion en suspend. Le procès qui oppose Lannion-Trégor Communauté à l’industriel est toujours en cours. 

 

« Un jour j’ai croisé un mec du groupe Roullier. Je lui ai donné la localisation exacte d’un de ses bateaux sabliers, il est devenu tout pâle. Eh oui Monsieur, on vous surveille nuit et jour. » Un téléphone, une application radar et le tour est joué. Patrice Desclaud est membre du Peuple des dune. Il milite contre les extractions de sable à Lannion depuis plus de 10 ans. « À  l’époque, on savait exactement quand lancer les manifestations, grâce à la surveillance des bateaux. Dès qu’ils approchaient de la baie de Lannion, on ripostait. Aujourd’hui, on le fait toujours. Souvent, on prend les verts pour des illuminé.e.s, mais nous c’est tout le contraire. On est sérieux et bien organisés. » Au premier rang des manifestations, présent aux réunions, proche des élus…Patrice Desclaud connaît du monde. 

C’est justement ces relations et ce réseau, qui permettent au collectif Le Peuple des dunes de lutter contre le groupe Roullier. La quasi-totalité des militants ont une double, voire triple casquette. L’un.e est avocat.e, l’autre pêcheur, l’un.e est député.e, l’autre élu.e municipal.e… Odile Guérin est à la fois adjointe à la mairie de Trébeurden, géologue et militante écologiste. Elle se rappelle bien des débuts du combat : « Tous les week-ends, on était là. On avait tout le monde dans la poche, les Bonnets rouges, les gendarmes, la sous-préfèt.e… Même les élus venaient aux manifestations. On était bien organisé.e.s, chacun avait son rôle. »

 

Le marchand de sable va-t-il passer ? 

C’est via sa filiale, la Compagnie Armoricaine de Navigation (CAN), que le groupe Rouiller voudrait extraire le sable coquillier.

Roullier se bat toujours pour s’installer en baie de Lannion. « On a beaucoup investi dans le projet. L’État a stoppé nos extractions de maërl et en échange on avait le sable coquillier. C’est notre droit de récupérer ces zones », explique Anaïs Guérin, responsable foncier et de l’environnement pour la société

Problème, les opposant.e.s, non plus, n’ont pas baissé les bras. « Lannion-Trégor Communauté (LTC, NDLR.) est toujours en procès, nous venons de faire appel contre le décret du préfet. On se bat tout particulièrement vis-à-vis des zones Natura 2000 qui sont juste à côtés des zones d’extraction.», explique Maïwenn Le Borgne, du service environnement de l’agglomération. Pour le moment, Le Peuple des dunes s’est retiré du procès. Raisons financières certes, mais aussi une stratégie bien rodée. « Même si LTC gagne, rien n’empêchera le préfet de sortir une autre autorisation. On se retire pour mieux attaquer plus tard si besoin. »

Patrice Desclaud a l’habitude de ce genre d’affaires. La guerre de l’écologie, il la connaît. D’abord parce qu’il milite depuis toujours pour la planète, mais aussi parce qu’il est membre de l’association Eau et Rivières, qui fait parti du Peuple des Dunes. Une grosse machine qui s’est battue contre Monsanto, par exemple. L’association a toujours eu une appétence particulière pour la cause environnementale. Petit à petit, un service juridique s’est mis en place, avec un juriste salarié à plein temps depuis 2018. L’an dernier, celui-ci a gagné 23 affaires sur 23. Avec cette expertise, couplé aux nombreux bénévoles, l’association est devenue très influente. Présente sur le terrain, ainsi qu’au sein du Conseil Économique, Social et Environnemental de Bretagne. Un coup de pouce non-négligeable pour le Peuple des Dunes. 

Patrice Desclaud : « L’important c’est de bien comprendre qui est sur l’échiquier, de connaître le CV de tout le monde. Faire marcher son réseau, ça permet d’obtenir des informations, d’avoir plus de crédibilité. Je n’ai pas peur de parler de lobbying. Disons que c’est un lobbying amateur. »

Damien Schrijen, doctorant en science politique à Rennes, n’est pas étonné par l’organisation pointue de l’opposition. « La Bretagne a toujours été une terre de mouvements sociaux, et l’est de plus en plus, car les préoccupations environnementales montent en puissance partout en Europe et dans le monde. Les luttes écologistes sont bien présentes en France et elles se structurent quasiment de la même manière. »  Il refuse cependant de parler de lobbying, car le mot est connoté. Mais ces groupes d’intérêt possèdent bel et bien du pouvoir et pèsent dans la balance. Dans le cas des extractions de sable, les modes d’action sont classiques : manifestations, tracts, recours en justice… Mais c’est surtout l’union des militants qui cause du tort à Roullier. « Je ne parlerai pas de lobbying dans ce cas-là, car la plupart des élu.e.s locaux.ales étaient déjà défavorables au projet. C’est grâce à leurs alliances et leur travail collectif que les militant.e.s ont pu se faire entendre. Je parlerai plutôt de mouvement social. »

 

 

Une terre de luttes

« Un mouvement social est un agir ensemble intentionnel, marqué par le projet des protagonistes de se mobiliser de concert. Cet agir ensemble se développe dans une logique de revendicatif et de défense d’intérêt ou d’une cause », selon Erik Neveu, sociologue.

Quel que soit le motif pour se rallier à une cause, les militant.e.s et groupes d’intérêts agissent quasiment tous de la même manière. C’est justement cette organisation qui permet à un mouvement de grandir. Et ce n’est pas nouveau. Damien Schrijen : « La lutte emblématique de Bretagne reste la centrale de Plogoff, mais des luttes il y en a partout, Notre-Dame-des-Landes par exemple. Tous les collectifs militants, ou presque, puisent dans un répertoire d’action et se structurent en fonction des luttes qui ont existé ». Pour le cas des extractions de sable, les opposant.e.s de Roullier se sont inspirés de la lutte quiberonnaise contre les cimentiers Lafarge et Italcementi. Odile Guérin l’affirme : « On ne s’est pas juste inspirés de l’affaire Lafarge, on a carrément tout copié. C’est d’ailleurs en hommage à cette victoire qu’on a demandé à reprendre l’appellation Peuple des dunes ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une victoire suffit pour motiver les troupes. Après la centrale de Plogoff ou encore l’Amoco Cadiz, les Breton.ne.s n’ont plus peur de se battre pour leur territoire. Pour Patrice Desclaud, « l’important, c’est de se montrer. Ça fait peur de voir 16 associations qui se battent encore et encore. Il faut utiliser toutes les ressources, tous les militant.e.s. C’est comme ça qu’on gagne en notoriété et en crédibilité ». Le Peuple des dunes, tout comme les autres groupes d’intérêt, n’agit pas par hasard. Les mêmes visages reviennent, les mêmes noms, les mêmes groupes… C’est cela qui donne de la force à un mouvement. « Tout de suite, quand on voit Eau et Rivières, on sait à qui on affaire, les Bonnets rouges c’est pareil, même LTC. Ce sont ces atouts réunis ensemble qui peuvent effrayer l’entreprise. »

Certains noms restent gravés dans les mémoires et sont utilisés comme argument d’autorité pour impressionner le camp adverse. Comme celui de Corinne Erhel, députée engagée contre les extractions, Joël Le Jeune, président de LTC, engagé dans la bataille de l’Amoco Cadiz, puis contre Roullier. Joseph Mell également, un ancien ingénieur dans le secteur du granulat, désigné par le tribunal administratif de Rennes pour mener l’enquête publique liée aux extractions lannionnaises. « Mon rôle c’était de parcourir les 13 communes concernées et récolter les avis. C’est important que les gens s’expriment, même si c’est moi qui avais le dernier mot. » Après des mois d’analyses, il finit par donner un avis favorable au projet. « J’ai dit oui en mon âme et conscience. Certaines observations étaient plus ou moins farfelues, je devais faire le tri. »

Grâce à sa connaissance du domaine et son expertise, il est aussi désigné pour juger les extractions de sable du groupe Roullier en baie de Saint-Brieuc. Encore une fois, il sera favorable au projet. « Les militant.e.s écologistes sont toujours contre le pouvoir, mais on ne peut pas ralentir l’économie ! »

 

L’ère de l’écologie 

L’opposition entre écologie et économie date des débuts de l’industrie. Chercheurs.euses, militant.e.s, commissaires enquêteurs.euses et avocat.e.s sont d’accord sur un point : les problématiques écologistes préoccupent de plus en plus les populations. Difficile pour les grandes entreprises de s’imposer face à ces nouveaux combats, et ce, malgré le capitalisme ambiant. « Un projet bloqué, c’est très frustrant et ça crée des tensions au sein des entreprises », explique Anaïs Guérin, responsable foncier et environnement de la CAN.

Les entreprises doivent aussi composer avec des lois environnementales qui se durcissent d’année en année.  « Les règles environnementales de l’UE sont très appliquées en France. Souvent, les entreprises reprochent au gouvernement français d’être dans l’extrême vis-à-vis de ces lois », précise l’avocat spécialiste de l’environnement Franck Barbier. Même si les industriels lanceurs de projets se sentent comme oppressés par les militants verts, Damien Schrijen indique qu’ « en France les luttes ne sont pas systématiques et que la plupart des projets aboutissent ».

Dix ans plus tard, la guerre du sable est encore d’actualité à Lannion et les navires sabliers sont toujours surveillés par Le Peuple des dunes. « Sûrement jusqu’en 2031, quand le décret signé par Macron prendra fin (décret ministériel accordant la concession de sable coquillier, signé en 2015, NDLR.) », soupire Odile Guérin. « En attendant, on est toujours là, et prêts à repartir. » 

Lena Guillaume, Mélina Rivière et Lucile Chaussoy

Photos : Peuple des dunes

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