Eau et Rivières de Bretagne, de la pêche au tribunal

D’une petite association de terrain, Eau et Rivières de Bretagne s’est transformée en une véritable entité juridique. Elle a su développer ses modes d’action : des nettoyages de rivières aux procès contre de grandes entreprises comme Monsanto. En 2018, l’association s’est armée d’un juriste. Il gère aujourd’hui à lui seul près de 80 dossiers.

 

Algues vertes, uranium, Monsanto, cela fait désormais 50 ans que l’association Eau et Rivières de Bretagne lutte sur les fronts écologiques. Nous sommes en 1969. Les premièr·e·s membres de ce qu’on appelle alors l’APPSB, l’association pour la protection et la promotion des salmonidés en Bretagne, s’activent à ramasser des branches mortes dans le lit du Léguer. Quelques décennies plus tard, le 9 octobre 2009, Eau et Rivières de Bretagne gagne un procès en justice contre Monsanto. L’association s’est transformée. 

 

Résultat de cette évolution, un homme. Brieuc Le Roch est le premier juriste professionnel de l’association Eau et Rivières de Bretagne, organisme mi-centenaire. Il a été recruté il y a près d’un an et demi. « Début 2018, après plusieurs mois de stages en 2017 », ajoute-t-il. Les portes lui ont été très vite ouvertes par l’association. L’arrivée de Brieuc Le Roch est la finalité d’un long processus de transformation au sein même de l’association, et plus largement des luttes environnementales. 

Au départ, l’association effectuait des nettoyages de rivières. ©DR

Cette histoire, celle de l’association, le jeune juriste de 28 ans nous la raconte avec passion, comme s’il l’avait vécue. « Il y a quelques décennies, la législation environnementale n’était que très peu développée. Le droit de l’environnement balbutiait, les textes de loi se faisaient rares. Les militants devaient se référencer aux directives européennes pour pouvoir défendre les droits environnementaux », souligne Brieuc Le Roch, qui a toujours eu un esprit militant. Il a notamment milité auprès de Greenpeace, autre association très présente dans les tribunaux. Dans les années 1960, les législations n’étaient pas claires, que ce soit pour les agriculteurs·ices ou pour les administrations. « Il était possible de voir de nombreux arrêtés préfectoraux et ministériels, fondés sur aucun texte légal. » Ces manquements énervaient forcément, mais les modes d’action étaient restreints.

 

Du courrier à la plainte

« On envoyait des courriers pour alerter les instances », détaille Jean-Claude Pierre, cofondateur de l’association en 1969. Eau et Rivières a d’ailleurs été créée « grâce à une lettre dans le journal Le Monde, pour alerter sur la mort de milliers de saumons dans les cours d’eau bretons », raconte le militant historique. « La législation n’était pas claire, les militant·e·s n’avaient pas le réflexe de traduire en justice les pollueurs·ses », relate l’ancien président. 

 

En envoyant des courriers, les choses vont changer pour les associations environnementales comme Eau et Rivières. « Dans les années 1970, une instance européenne a répondu à des avertissements de l’association, en disant que l’alerte pouvait être exploitée comme une plainte auprès de la justice », explique Brieuc Le Roch. C’est ainsi que l’aspect juridique est entré dans la fronde environnementale. À la fin des années 1980, les premières procédures sont engagées par Eau et Rivières. Des militant·e·s bénévoles s’initient alors aux notions de droit et s’engagent dans de longs combats judiciaires.

 

Les premières plaintes entraînent une réelle mutation du combat environnemental. « Les procédures judiciaires ont fait réagir les instances, qui ont clarifié la législation », informe le Brieuc Le Roch. Du côté d’Eau et Rivières, le développement du combat juridique va se poursuivre. « Plusieur·e·s bénévoles vont y dédier une grande partie de leur engagement », souligne Jean-Yves Piriou, l’actuel vice-président de l’association. Il poursuit : « iels ont donné une nouvelle dimension à l’association. Cela a permis de devenir crédible devant les tribunaux et dans nos luttes. » 

 

80 dossiers en cours

Ce développement s’est traduit par l’embauche de ce juriste professionnel. « Nous sommes considérablement armés pour tous les combats », se réjouit Jean-Yves Piriou. Avec ce salarié, la cellule juridique est devenue très active. « Nous traitons actuellement près de 80 dossiers, contre des agriculteurs·ices qui ont pollué des cours d’eau par exemple », détaille Brieuc Le Roch. Ces affaires s’ajoutent aux 33 combats remportés sur les deux dernières années. Parmi ses victoires, le salarié se rappelle celle contre le catalogue en ligne de Shopix. Ce dernier faisait la promotion d’un désherbant au glyphosate et destiné aux particuliers. 

 

« Si la législation était plutôt légère à l’époque, aujourd’hui elle est très complexifiée », présente le Brieuc Le Roch. Ce dernier explique que de nombreuses exceptions à la loi amènent à de nombreux cas de figure différents selon les pollueurs·ses mis en cause. « Les tribunaux ne sont pas encore assez spécialisés au droit environnemental, ce sera l’étape suivante », estime le salarié. L’association est aussi devenue un réel lobby, qui possède des sièges au Conseil Économique Social Environnemental Régional (CESER). Une position donnant une force de parole à l’association, au même titre que la chambre d’agriculture.

 

Pour Eau et Rivières, le développement juridique n’est pas terminé. « Avec 18 salarié·e·s, et près de 1000 militant·e·s, nous pouvons faire plus sur ce plan », juge Brieuc Le Roch depuis l’open-space brestois de l’organisation. Il espère voir naître une conscience chez tous les membres. « Il est nécessaire que chacun puisse prendre sa part de responsabilité dans la sensibilisation. » Objectif : bannir toutes formes d’incivilités à l’encontre de l’environnement en Bretagne. Un travail qui pourra commencer du 25 au 27 octobre. À cette date, les militant·e·s se réuniront lors d’un congrès pour célébrer les 50 ans de l’association.

 

Encadré : Trois formes de luttes juridiques
L’action juridique d’Eau et Rivières de Bretagne consiste en trois formes de combats. L’association se constitue régulièrement comme partie civile pour demander condamnations et réparations auprès de pollueurs des eaux. Elle lutte également au sujet de contentieux administratifs, pour faire avancer le débat public et ainsi stopper des décisions administratives jugées abusives. « On exerce notamment ce procédé sur le sujet du glyphosate. » L’action civile est un autre processus juridique que peut utiliser l’association. « Cela consiste à prendre les devants sur une affaire qui traînerait dans les dossiers de l’administration », précise le juriste avant de poursuivre : « L’idée ici est de traduire des personnes en justice, sans forcément passer par une plainte ».

Bastien Blandin

Kilian Le Bouquin

Morgane Moal

 

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