Baie de Saint-Brieuc : l’impact du parc éolien sur la biodiversité

Un nouveau parc éolien offshore devrait voir le jour dans la baie de Saint-Brieuc en 2021.
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La baie de Saint-Brieuc : une bulle de biodiversité dans laquelle cohabitent diverses espèces, à l’image des grands dauphins, des oiseaux migrateurs ou encore des coquilles Saint-Jacques… La construction d’un parc éolien offshore, prévue début 2021, pourrait-elle mettre en péril le fragile équilibre de cet écosystème ? C’est en tout cas ce que craignent certaines associations.

Un parc éolien offshore devrait être opérationnel d’ici 2023, en Baie de Saint-Brieuc. Un projet qui suscite débat depuis son annonce au grand public en 2010, puisque la zone héberge une avifaune et une biodiversité aquatique riche. Bien que le promoteur, Ailes Marines (créée par le consortium de la société Avel Vor et l’entreprise espagnole Iberdrola) propose des réponses à ces problématiques, quelques sceptiques avancent un danger pour l’environnement maritime et aérien de la baie. 

En 2013, un débat public commandé par Ailes Marines était organisé, pour comprendre les attentes des groupes réticents au projet, avant de les prendre en compte. Anne Chevrel, ingénieure en concertation citoyenne, a animé les phases de débat public en 2012 puis 2014 : « À titre d’exemple, Iberdrola a participé au financement d’une formation au lycée maritime de Saint-Malo, autour des métiers de l’entretien des installations industrielles en mer. Donc quand on est arrivé au débat public, les pêcheurs n’étaient pas vraiment opposés à ce projet. » Ce sont plus tard que les inquiétudes des pêcheurs sont nées. Durant la concertation, le but n’était pas forcément de créer du consensus, « un des objectifs était de comprendre à quelles conditions les parties prenantes pourraient être favorables au projet », souligne Anne Chevrel.

En septembre 2016, une étude d’impact est rendue publique. Le conseil scientifique de cette étude était présidé par Yann Février, membre du Groupe d’études ornithologique des Côtes d’Armor (GEOCA). Elle a permis de mettre en lumière des données factuelles et vérifiées sur la biodiversité de la baie. La construction du parc éolien a alors pris trois ans de retard et la première pierre n’a pas encore été posée. Lundi 16 septembre 2019, les promoteurs ont confirmé la création de 250 emplois à plein temps pour la construction des fondations des éoliennes.

Plusieurs associations mobilisées

Le Groupe d’étude ornithologique des Côtes d’Armor s’inquiète pour les oiseaux, l’association Al Lark évoque une perte d’habitat pour les dauphins et le Comité des pêches de Côtes d’Armor alerte sur les ressources halieutiques et la coquille Saint-Jacques. Chacun porte ses revendications ; ces acteurs associatifs ne se fédèrent pas dans une opposition et ne sont pas regroupés autour d’un collectif portant une parole commune. Ils préfèrent, à leur manière, devenir acteurs de l’élaboration du projet et des recherches pour faire en sorte de réduire l’atteinte à la biodiversité. « Nous avons donc demandé à être au coeur des échanges car c’est un sujet que nous connaissons très bien », explique Grégory Le Drougmaguet, du Comité des pêches.

Les dauphins menacés par le bruit des travaux

La population de dauphins présente dans la baie fait partie des plus importantes d’Europe, d’après l’association Al Lark, qui travaille à l’étude des cétacés. Ces mammifères marins sont particulièrement sensibles au bruit et « leur capacité acoustique est phénoménale », explique Gaël Gautier, directeur d’Al Lark. 

Lors de la construction du parc, des fondations seront creusées sous l’eau, entre 28 et 50 mètres dans le sol marin, pour faire tenir les éoliennes de plus de 200 mètres de haut. « L’oreille interne du dauphin peut être sérieusement endommagée à cette période », prévient le directeur de l’association. Les ondes maritimes dues aux travaux pourraient donc avoir un effet grave sur leur santé physique, voire être mortelles. « Si des éoliennes flottantes avaient été installées, nous n’aurions pas eu ce problème de martelage. Pour nous, la solution choisie était la moins bonne », ajoute d’un ton grave Gaël Gautier.

La migration : seule issue pour les dauphins

« La gêne occasionnée pour les espèces de mammifères marins peut se faire ressentir à des dizaines de kilomètres, entraînant un déplacement des espèces ». C’est ce que souligne l’étude d’impact, réalisée en 2016. Ailes Marines a mis en place un système de “soft start” pour faire fuir les dauphins au début des travaux. La construction du parc démarrera progressivement, pour que les premiers bruits (moins virulent) éloignent les dauphins.

Un gros dossier posé devant lui, Yann Février, renchérit : « même si on ne tue pas directement l’espèce, la perte d’habitat aura quand même des conséquences énormes. Les dauphins ne pourront pas aller ailleurs, ils se reproduiront moins et la population va finir par diminuer. »

À ce jour, les scientifiques n’ont pas réussi à savoir si ces animaux marins seraient susceptibles de revenir, une fois les travaux finis. « Pour les dauphins, les promoteurs parlaient de mettre en place une zone de quiétude, mais comment va-t-elle être décidée ? Interroge Gaël Gautier. On ne peut pas les forcer à habiter à un endroit précis », conclut-il.

Selon le GECC (Groupe d’Etude des Cétacés du Cotentin), l’espèce est présente dans toutes les mers du monde mais les grands dauphins de la Manche sont les plus fragiles de leur espèce. Ils sont isolés génétiquement et se renouvellent lentement, du fait du grand taux de mortalité chez les jeunes de l’espèce. Hors de son lieu de vie habituel, il est possible que le grand dauphin de la Manche ne puisse survivre.

Et pourtant, ces grands dauphins « jouent un rôle indispensable dans le maintien de la biodiversité et du bon fonctionnement de l’écosystème marin », explique le GECC. En effet, étant au sommet de la chaîne alimentaire, ils sont régulièrement qualifiés de sentinelle : c’est à dire qu’avec des prélèvements, les scientifiques peuvent constater les changements de l’environnement maritime.

Les volatiles en danger ?

À plus long terme, les volatiles pourraient aussi être impactés par ce parc éolien. D’après Yann Février, les conséquences des collisions sont pourtant difficiles à estimer : « On ne pourra pas faire le suivi de mortalité puisque les oiseaux tomberont dans l’eau. »

Yann Février était président du conseil scientifique de l’étude d’impact et membre de GEOCA, le groupe ornithologique des Côtes-d’Armor.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le parc éolien se situe sur une trajectoire d’oiseaux migrateurs venant du Nord. « La Baie de Saint-Brieuc forme un entonnoir, détaille Yann Février. Les oiseaux migrateurs passent ici, ils suivent la côte. »  Sa crainte est donc que le parc éolien se situe dans cet entonnoir et que les oiseaux se heurtent aux pales des éoliennes. 

Certaines chauves-souris sont, elles aussi, des espèces migratrices. Quand le projet a  émergé, il y a 10 ans, la sauvegarde de ces volatiles n’était pas la priorité. Le risque de collision avec les pales est pourtant un facteur qui rentre en jeu, surtout quand « on suppose que certaines chauves-souris vont également en mer pour se nourrir, explique Yann Février. La pipistrelle de nathusius est une espèce de chauves-souris qui traverse beaucoup les mers et océans. Elle migre souvent la nuit et les lumières des éoliennes peuvent la perturber. » 

Mais le plus inquiétant pour les défenseurs de l’environnement reste la perte du lieu de vie des dauphins sur la zone du parc, de plus de 100 kilomètres carrés. À cet endroit, il peut y avoir « des espèces menacées de disparition, comme le plongeon imbrin », annonce le scientifique.

« Si on construit des zones industrielles, si on bétonne des zones naturelles, c’est des oiseaux en moins », explique le président du conseil scientifique, Yann Février. Pour lui, ce constat est applicable au milieu marin et aux ressources halieutiques : « Plus on va artificialiser des milieux comme ça, moins il y aura d’espèces identifiées. »

Des inquiétudes pour les ressources halieutiques

« Si on construit, si on bétonne des zones industrielles, c’est des oiseaux en moins », explique le président du conseil scientifique, Yann Février. Pour lui, ce constat est applicable au milieu marin et aux ressources halieutiques : « Plus on va artificialiser des milieux comme ça, moins il y aura d’espèces identifiées. » 

Un point de vue partagé par Grégory Le Drougmaguet, chargé de mission « pêche et éolien en mer » au Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins 22. À l’entrée de son bureau, à Pordic, une miniature d’éolienne est posée sur une table. Juste à côté, dans un carton, des dossiers sur le parc éolien sont empilés. « Je travaille depuis 7 ans sur le projet, mon poste a été créé pour avoir un suivi au long terme de l’affaire », explique-t-il.

Grégory Le Drougmaguet travaille depuis 7 ans sur le projet de parc éolien, pour le Comité des pêches.

En baie de Saint-Brieuc, les professionnels travaillent depuis des années sur la gestion de la coquille pour avoir une pêche la plus durable possible. « C’est une gestion draconienne, avec seulement deux jours de pêche par semaine », déclare-t-il. Sur 280 navires de pêche, 220 sont licenciés pour cette pêche à la coquille, emblématique de l’économie locale.

Les pêcheurs briochins ont donc demandé des garanties, pour être certain que la phase des travaux ne sera pas destructrice pour les ressources halieutiques. Les incidences sur la reproduction des espèces, la croissance ou encore l’alimentation les préoccupent. « Ce sont des choses qui ont été demandées en 2012, pour lesquelles on attend toujours des réponses », poursuit-il.

Une évolution du projet

Depuis 2010, la conception du parc éolien a évolué, devant plus arrangeantes pour les pêcheurs : les câbles reliant le parc à la terre ferme devaient être en suspens dans l’eau, risquant ainsi de faire fuir les poissons et crustacés des profondeurs marines. Un arrangement semble avoir été trouvé, les câbles seront enfouis sous terre, et ne gêneront plus les pêcheurs dans leurs activités. Pourtant, l’accord n’est pas encore totalement confirmé, et le comité des pêches se positionne clairement sur le sujet : « S’ils nous disent que 50 % des câbles seront ensevelis, pour nous il n’y aura pas de parc éolien, on a été très clair. »  affirme Grégory Le Drougmaguet.

Une position qui s’appuie également sur une nouvelle demande d’étude faite au promoteur, pour mieux cibler les problèmes que le parc pourrait poser au pêcheurs : « Ailes Marines doit apporter des réponses sur les impacts de la phase travaux, et notamment le bruit, car c’est ce qui nous inquiète le plus », explique Grégory Le Drougmaguet, balayant du regard les cartes de son bureau, majoritairement consacrées du projet en baie de Saint-Brieuc. Le Comité des pêches a donc demandé deux nouvelles études portant sur l’impact du bruit sur la seiche, la coquille Saint Jacques ou la praire, portés par des chercheurs du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et le Museum d’Histoire naturelle. Une fois livrées, d’ici un an, le Comité des pêches se sentira donc plus légitime pour se positionnement clairement face à la construction du parc. « On a toujours eu la position de dire : le jour où on sera contre, cela voudra dire qu’on aura des éléments concrets et scientifiques. »

 

Entre grands dauphins et oiseaux migrateurs, certaines espèces essentielles à la biodiversité de la Manche seront menacées par ce parc éolien en baie de Saint-Brieuc. Au fil des années, de nombreuses études ont été demandées pour évaluer le danger du parc sur la zone. Plusieurs concertations et débats publics ont également eu lieu. Cela explique les années de retard du projet, qui n’est pas encore prêt d’être achevé…

Par : Chloé Henry, Malika Barbot et Valentin Vancutsem. 

 

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