Au Parc d’Armorique, développer le tourisme dans un espace protégé

Le Parc naturel régional d’Armorique, fête cette année ses cinquante ans. Des manifestations sont organisées pour l’occasion, les 28 et 29 septembre. Associations, élu·e·s et visiteur·euse·s du Parc seront réuni·e·s autour de conférences et d’animations sur le thème de la biodiversité. Cinquante ans après sa création, les objectifs du parc restent les mêmes : préserver l’environnement tout en développant l’économie locale, en s’appuyant notamment sur les acteur·rice·s des alentours. Qu’iels soient cidrier·e·s dans les vergers du Finistère, agriculteur·ice·s sur les parcelles des Monts d’Arrée, professionnel·le·s du tourisme au bord de la presqu’île de Crozon ou habitant·e·s des villages du Parc, tou·te·s doivent coopérer pour protéger leur territoire, tout en l’enrichissant. Reportage.

Aux abords et au sein même du Parc, seuls quelques panneaux indiquent sa présence.

Situé à mi-chemin entre Brest et Quimper, le Parc naturel régional d’Armorique est un écrin de verdure où la faune et la flore sont protégées. Après avoir roulé sur les routes des Monts d’Arrée prisonniers d’une brume matinale, le village de Saint-Rivoal se dévoile. Une petite église, une école bilingue, un restaurant et un parking sur lequel avance une Clio 2. En descend Louis-Marie Guillon, un des 40 salariés du Parc, où il est chargé de missions depuis 30 ans. “Vous avez fait bonne route ?”, commence-t-il simplement, ciré rouge sur le dos. Et en effet, sur les départementales du centre de la Bretagne, il est difficile de résister aux 1250 km2 de paysages immenses qui ne vont pas sans évoquer les côtes irlandaises ou écossaises, avec la douceur du climat local. 

Un Parc au cahier des charges précis 

En France, les Parcs naturels régionaux ont été créés le 1er mars 1967, par un décret de Charles de Gaulle. Selon l’article premier de ce texte, un territoire peut prétendre à être classé “PNR” lorsqu’il “présente un intérêt particulier, par la qualité de son patrimoine naturel et culturel, pour la détente, le repos des hommes et le tourisme, et qu’il importe de le protéger et de l’organiser”. 

L’objectif du Parc régional, c’est d’y préserver la biodiversité et l’environnement”, explique Louis-Marie Guillon. Pourtant, à sa création, nombreux·ses étaient les habitant·e·s à craindre que ce Parc ne soit “une réserve d’indiens”. En effet, à l’époque, l’Union démocratique bretonne (UDB), parti autonomiste, redoutait « une mise sous cloche” du centre de la région. L’UDB était aussi partisane d’une forte décentralisation, donc à une prise de distance avec les décisions de l’État. En toute logique, elle ne souhaitait pas que ce dernier prenne des règlements nouveaux concernant la région.

Le territoire du Parc naturel régional s’étend du bout des Côtes-d’Armor à la pointe de Crozon, en ajoutant les îles d’Ouessant, de Molène et de Sein. @GoogleMaps

C’est le deuxième parc naturel régional créé en France. En cinquante ans, il s’est étendu : 28 communes à sa création, contre 44 aujourd’hui. Sur ce vaste territoire, coexistent des entreprises, des associations, et surtout des habitant·e·s. Iels sont 65 000, mais ce nombre augmente pendant la période estivale.

Louis-Marie Guillon dans les landes du Parc naturel d’Armorique où sont plantés de nouveaux hêtres.

La biodiversité au sein du Parc d’Armorique

Préserver la nature, c’est éviter sa destruction mais aussi entretenir, voire réparer les errances du passé. “Il y a une histoire liée à la biodiversité, dans laquelle chaque territoire a ses spécificités”, explique Louis-Marie Guillon. La nature a en effet vécu différentes périodes dans l’activité humaine, entre exploitation du bois ou chasse des fous de bassan. Ici, la protection de la biodiversité passe par une reconstitution de la faune et de la flore présentes à l’origine sur le territoire. “Aujourd’hui, on essaye de remplacer la présence de sapins introduits par l’humain dans le milieu, par une population d’arbres historiquement présents comme le hêtre », ajoute Louis-Marie Guillon. “Ce travail doit être fait en collaboration avec les acteurs locaux propriétaires des terrains”. Car le Parc possède très peu de terres, seulement quelques parcelles ainsi que le domaine de Menez-Meur. “Il faut donc convaincre toutes les parties de s’impliquer dans les projets, qu’iels soient agriculteur·ice·s ou particulier·e·s”.

 

Biodiversité et économie : un jeu d’équilibre

C’est une des missions principales du Parc : encadrer l’arrivée de nombreux·ses touristes chaque année. Quarante personnes y travaillent à l’année. Collaboration avec des entreprises, création de sentiers, fauchage de prairies avec des agriculteur·ice·s, les exemples sont nombreux. “Notre rôle c’est de trouver l’équilibre entre tous les acteurs”, explique Matthieu Chave, chargé de mission tourisme-durable et marketing territorial au sein de la maison du Parc. Trouver cet équilibre entre économie et environnement est un travail complexe. “La nature évolue, il faut sans cette s’y adapter”, conclut-il.

Travailler en collaboration

Le Parc cherche à mettre en avant les producteur·ices·s locaux·ales. Sur la départementale qui mène à la presqu’île de Crozon, à hauteur de Telgruc-sur-Mer, se trouve la cidrerie de Rozavern, une entreprise familiale dont Nicolas Mazeau a pris la succession avec sa compagne, il y a cinq ans. Cette localisation idéale attire 20 000 visiteur·euse·s sur l’exploitation chaque année. “Notre rôle, ce n’est pas que vendre, on veut expliquer comment on travaille, explique-t-il. L’objectif, en venant chez nous, c’est de découvrir le site, le verger, comment ça fonctionne”. Pour être référencée et obtenir le label “Valeur Parc”, attribué par le Parc naturel régional, il faut que l’entreprise respecte des critères environnementaux, comme l’utilisation de variétés anciennes de pommes (dans le cas de la cidrerie) ou l’absence de traitement avec des produits chimiques. “En tant que producteurs bio, on était déjà dedans. C’était une démarche personnelle. Il n’y a donc pas eu de gros changements à mettre en place”. S’ensuit un travail de promotion réciproque. “Nous donnons au Parc quelques bouteilles de cidre. Iels vont pouvoir les utiliser pour faire la promotion du patrimoine gastronomique local, tout en évoquant le Parc”, complète Nicolas Mazeau. Ce label sert aux entreprises à mettre en valeur leur engagement en faveur de l’environnement. Elles espèrent aussi accueillir de nouveaux touristes.

Ce classement “Parc naturel régional”, diffère des Parcs nationaux, aux missions bien distinctes. “On a souvent des remarques de touristes qui demandent où est l’entrée, quelles sont les zones protégées, sans habitations, précise Louis-Marie Guillon, sur la route du Col de Trédudon, où loge l’imposante antenne TDF du Roc’h. Mais un Parc régional, c’est un espace ouvert sur lequel vivent et travaillent de nombreuses personnes, à la différence des Parcs nationaux”. Parc naturel régional, serait-ce une appellation désuète ? Aujourd’hui, il est peut-être préférable d’utiliser le terme territoire ou espace, ce qui correspond à la réalité du terrain”, ajoute Matthieu Chave. Une appellation plus juste, car il n’y a pas ou peu de contraintes de déplacements sur le Parc. Les touristes peuvent visiter non seulement les espaces naturels, mais aussi les musées, églises et bibliothèques qui se trouvent sur le territoire du Parc naturel régional.

Le réservoir de Saint-Michel, depuis le Mont Saint-Michel dans les Monts d’Arrée, a été créé pour les centrales électriques à son bord. Mais il fait aujourd’hui partie intégrante du paysage.

Des centaines de kilomètres de sentiers sont disponibles pour la randonnée, mais il n’existe ni barrières, ni restrictions de passage. La raison ? Le Parc ne possède pas de pouvoir pour réguler les accès à des sentiers qui renferment une importante biodiversité. Les responsables peuvent juste formuler des avis aux autorités compétentes, comme le préfet, qui prendra la décision finale. Dans le cahier des charges des Parc naturels régionaux est affiché “la volonté de convaincre plutôt que contraindre“.

Il faut donc “dialoguer, rencontrer et faire des compromis pour protéger la biodiversité du Parc”, explique Louis-Marie Guillon. 50 ans après sa création, les limites du Parc sont intégrées dans les pistes de son développement : “Si on doit progresser demain, c’est sur les valeurs de ce patrimoine exceptionnel. Il ne s’agit pas d’en faire un espace protégé et fermé, mais un modèle de durabilité à la fois pour l’environnement et aussi pour l’économie”, argumente Thierry Burlot, vice-président de la région Bretagne à l’environnement, eau, biodiversité et climat.

Le tourisme, la biodiversité et des habitants

Éviter la création d’une “réserve d’indiens”, c’est aussi parce que plus de 65 000 habitant·e·s vivent et travaillent sur la zone du parc. Tou·te·s n’approuvent pas la création de cet espace qui attire de nombreux·ses touristes, selon Matthieu Chave. “Certain·e·s habitant·e·s nous disent : “Il y a 20 ans j’allais à la plage, il n’y avait personne. On faisait attention, on ne dégradait rien. Mais aujourd’hui on ne peut plus y aller parce qu’au mois d’août il y a beaucoup trop de monde”.  Il faut donc trouver des compromis, une nouvelle fois. Car ces touristes sont une opportunité pour l’activité économique, quand leur nombre ne dépasse pas les limites d’accueil. “À Ouessant, il y a entre 90 000 et 100 000 personnes qui passent sur l’île chaque année”, complète Louis-Marie Guillon. Et au centre de cela, les insulaires, bien obligé·e·s à cohabiter et une nature à protéger. “Cela pose des problèmes de piétinement, de déchets. Et le traitement des eaux usées reste le principal facteur de pollution sur l’île”. Faut-il aller vers un quota de visiteur·euse·s quotidiens sur l’île pour réduire l’impact environnemental ? Pour l’instant, la jauge n’est pas établie. Le nombre de passager·e·s embarquant sur les navettes qui font l’aller-retour entre le continent et l’île reste la principale limite du développement touristique sur Ouessant.

Cinquante ans après, l’objectif principal du Parc naturel régional, d’allier sauvegarde de la biodiversité et tourisme, semble porter ses fruits. Son anniversaire, les 28 et 29 septembre, sera l’occasion de faire le bilan sur ses apports, mais aussi sur ses limites. Les projets futurs seront aussi évoqués et notamment la volonté du parc d’être labellisé « Geoparc Mondial UNESCO », afin, d’après Thierry Burlot, “de renforcer la préservation du lieu”. Une nouvelle appellation qui appellera, peut-être, à davantage de visiteur·euse·s en terres armoricaines.

 

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