Facture d’eau : les particulier·ère·s paient pour les pollueur·euse·s

En France, les politiques publiques de l’eau reposent sur le principe du « pollueur-payeur ». Mais celui-ci n’est pas respecté : les particulier·ère·s paient la majeure partie des redevances pollution, au profit des professionnel·le·s que sont les agriculteur·rice·s et les industriel·le·s.

Une fois par an, vous recevez votre facture d’eau : un document rempli de chiffres et souvent complexe à comprendre. Si le montant final de cette facture est propre à chaque ménage en fonction notamment de sa consommation, un élément est commun à tou·te·s : la redevance pollution domestique. Celle-ci représente 5 % en moyenne du montant total de la facture, mais elle révèle d’importantes inégalités entre les industriel·le·s ou les agriculteur·rice·s et les particulier·ère·s. Les premier·ère·s ne paient pas suffisamment pour la pollution dont il·elle·s sont responsables, alors que les particulier·ère·s se voient facturer le prix fort.

La redevance « pollution domestique » est la principale source de financement des agences de l’eau. En 2017, elle représentait 47% des 359 millions d’euros de recettes de redevances, sur un budget total de 431 millions d’euros. Grâce à cette taxe, elles soutiennent notamment une partie des coûts de rénovation et de mise aux normes des réseaux en subventionnant les collectivités chargées de réaliser ses travaux.

Au travers de cette taxe, les agences sont chargées d’appliquer une des politiques de gestion de l’eau en France, le principe de « pollueur-payeur » mis en place avec la loi de 1964. En théorie, les frais de lutte contre la pollution de l’eau doivent être couverts par le·la pollueur·se, en l’occurrence la personne qui consomme de l’eau, à hauteur de la pollution qu’elle génère.

87% des redevances pollution payées par les particulier·ère·s

La réalité est tout autre. Selon l’Union Fédérale des Consommateurs (UFC) – Que Choisir, l’agriculture est responsable de 70 % des pollutions en pesticides et de 75 % des pollutions en nitrates. Or, dans le système actuel, un·e particulier·ère paye 0,30 €/m³ de redevances pollution domestique dès le premier m³ d’eau consommé… alors que les professionnel·le·s, qui sont les plus gros pollueur·se·s ne payent cette redevance qu’à partir du 6 000e m³ consommé ! « À partir de ce seuil, on considère qu’on rentre dans la consommation d’un élevage industriel », détaille Thierry Burlot, vice-président en charge de l’environnement à la Région Bretagne et président du Comité de bassin Loire-Bretagne.

Résultat, en 2013 en France, 87 % de la somme des redevances pollution étaient payées par les particulier·ère·s, contre 6% par les agriculteur·rice·s et 7% par l’industrie. Un paradoxe révélé par un rapport de la Cour des Comptes daté de 2015 qui note plusieurs incohérences au niveau des politiques de l’eau. « Aujourd’hui, le consommateur est pris en otage, il paye des redevances dont il n’est pas responsable », précise Thierry Burlot, président du Comité de bassin Loire-Bretagne. Pour l’élu, il semble cependant difficile d’imaginer une issue favorable à cette injustice. « Si on attaque les agriculteurs, après tous les problèmes des dernières années (baisse des prix de ventes du lait à la grande distribution, œufs contaminés, etc.), on sait qu’ils seront virulents », regrette-t-il. Pour l’association de défense des consommateur·rice·s UFC-Que Choisir, c’est une « violation flagrante du principe préleveur-pollueur-payeur. […] Cette politique est non seulement pénalisante pour les consommateurs, mais elle n’incite aucunement l’agriculture intensive à modifier ses pratiques. »

« Il y a de vrais lobbyistes chez les agriculteurs »

Comment expliquer une telle aberration financière et écologique ? Le rapport de la Cour des comptes de 2015 avance une piste : ses auteur·e·s précisent que les agriculteur·rice·s et industriel·le·s sont « surreprésentés dans les comités de bassin » et les agences de l’eau. Or ces comités sont chargés de définir les politiques de l’eau et orientent les décisions des agences de l’eau… Par exemple, sur 190 représentant·e·s siégeant au comité de bassin de l’Agence Loire Bretagne, on compte 22 particulier·ère·s pour 18 représentant·e·s agricoles et 21 représentant·e·s industriel·le·s. « Il y a de vrais lobbyistes chez les agriculteurs. Ils sont bien organisés. C’est pour ça qu’on ne cherche pas trop à les attaquer », explique Thierry Burlot.

Néanmoins, les agriculteurs à la tête d’un élevage par exemple, payent une autre redevance pollution, cette fois pour la consommation d’eau d’origine non-domestique. Cette redevance est payée par les exploitants car leur activité dégrade la qualité de l’eau. La taxe est calculée selon plusieurs critères propre à l’activité industrielle de chaque exploitant.

Malgré la mise en place de cette redevance pollution d’eau d’origine non-domestique, le rapport de la Cours des comptes de 2015 estime que la « contribution globale au financement des agences reste faible (6 % des redevances en 2013) et nettement inférieure au regard des pollutions causées par les exploitations agricoles. » C’est pour pallier cette perte d’argent qu’elles ont fait augmenter le prix des redevances pollution pour les particulier·ère·s afin d’établir un budget à l’équilibre. Le montant de celles-ci ne devrait cependant plus grimper : elles sont aujourd’hui fixées à 0,3 €/m³, soit la somme maximale autorisée par la loi. Seule solution pour augmenter encore les budgets disponibles pour lutter contre la pollution des eaux : « Prendre l’argent supplémentaire dans les parties distribution et assainissement sur la facture d’eau », entrevoit Thierry Burlot. À moins qu’après 54 années, la loi soit finalement appliquée… et que les pollueur·se·s paient enfin le juste prix.

Maxime Oliveira et Nicolas Pineau

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