Environnement : dans le Trégor, les clubs nautiques naviguent à vue

Dans le Trégor, les clubs nautiques évoluent dans un milieu naturel qu’ils tentent de protéger, tant bien que mal.

Chaque année, près de 950 000 personnes s’adonnent à un sport nautique en Bretagne. Un nombre élevé pour des activités qui peuvent avoir des répercussions sur l’environnement. Pour limiter les effets néfastes, des démarches de sensibilisation et de préservation sont menées auprès des adeptes. État des lieux sur la situation dans le Trégor, en Côtes-d’Armor.

Canoë-kayak, paddle, plongée sous-marine, surf, voile… Avec ses 394 centres nautiques répartis à travers son territoire, la région Bretagne propose une large palette d’activités aquatiques en milieu naturel. Un secteur qui a vu son offre grimper de 46 % sur le territoire entre 2010 et 2015. Preuve de cette croissance, le tourisme ainsi que les sports nautiques ont généré un chiffre d’affaires de 144 millions d’euros en 2015. Un phénomène auquel n’échappe pas la région du Trégor, dans laquelle 43 bases de loisirs sont recensées.

Un milieu naturel sensible à l’activité humaine

En s’adonnant à leurs loisirs préférés, les pratiquant·e·s évoluent dans des milieux naturels, parmi une faune et une flore particulières, parfois soumises à rude épreuve. Un récent rapport de l’Observatoire de l’environnement en Bretagne (OEB) dresse un constat inquiétant : parmi les 2 159 espèces animales répertoriées en Bretagne, 333 sont inscrites sur la liste rouge nationale, menacées de disparition dans les prochaines années. C’est le cas du macareux moine ou encore de l’anguille européenne. Dans les Côtes-d’Armor, le sterne de Dougall et le pingouin torda font partie des 73 espèces d’oiseaux menacées dans l’Hexagone. Dans le viseur des associations de protection, l’activité humaine qui entraîne une modification des habitats naturels. Les pratiques aquatiques ne sont pas étrangères à ce phénomène car leur influence sur l’aire naturelle peut être significative. « Par exemple, le longe-côte est dévastateur pour les oiseaux qui ont l’habitude de se nourrir au bord du littoral. Ils sont obligés de changer de lieu, ce qui provoque un déséquilibre pour l’éco-système », affirme Bruno Querné, membre de l’association Bretagne Vivante – Pays de Morlaix. De ce fait, les structures nautiques se doivent de prendre en compte cette problématique afin de respecter le milieu dans lequel ils évoluent.

 

Une situation paradoxale

Les élèves de Mathieu Ropartz doivent se rendre à Locquirec pour surfer.

Les élèves de Mathieu Ropartz doivent se rendre à Locquirec pour surfer.

Si le monde du surf se mobilise pour préserver mers et océans, il existe bel et un bien un paradoxe. De prime abord, la pratique de ce sport peut s’avérer inoffensif. Pas de moteurs et une « simple » planche en guise de matériel. Une panoplie quasi-parfaite pour ces amoureux de la nature. “Quasi”, car lorsqu’on regarde un peu plus près, le tableau s’annonce moins vert qu’il n’y paraît. À Saint-Michel-en-Grève, Mathieu Ropartz, gérant de la Mat Surf School, doit parfois emmener ses élèves à Locquirec pour s’adonner aux joies du surf. Les écolier·ère·s sont content·e·s, l’environnement un peu moins. Coût écologique du trajet : 23 kilomètres aller-retour et une empreinte carbone de 12 kilogrammes de CO2.

De plus, les matériaux utilisés ne sont pas exempts de tout reproche. En premier lieu, la wax, une cire étalée sur les planches de surf pour les rendre moins glissantes. Un produit indispensable pour les rideur·se·s mais pas pour la mer. En effet, la plupart de ces cires sont composées de paraffine, un produit obtenu à partir de pétrole brut dont les procédés de transformation impactent l’environnement. Pour remédier au problème, des clubs comme celui du Pont Surf School de Perros-Guirec, mettent à la disposition des pratiquants un distributeur de wax écologique. L’intérêt ? « L’utilisation d’un produit avec des matières naturelles renouvelables et donc biodégradables », explique Damien Houques, fondateur de la société GreenFix qui fabrique ces produits. Autre avantage non négligeable, le lieu de production. « Généralement, la wax est importé de Californie ou de pays d’Amérique du Sud, ce qui lui confère une empreinte carbone importante. La nôtre est fabriquée directement dans nos locaux au Pays Basque, ce qui réduit la pollution », affirme Damien Houques.

Un distributeur de wax écologique est installé à proximité des clubs de surf à Perros-Guirec.

Un distributeur de wax écologique est installé à proximité des clubs de surf à Perros-Guirec.

Des efforts sont également menés sur la fabrication des combinaisons fabriquées en néoprène, néfaste pour l’environnement car ce matériau est issu du raffinage du pétrole brut ! Un caoutchouc naturel, issu des hévéas, a été mis au point par certains fabricants. C’est le cas de la marque éco responsable Patagonia, qui propose désormais une gamme de combinaison en “Yulex”, un matériau végétal et  renouvelable. De même pour les planches, que certains shapers élaborent désormais à partir de matières recyclées comme le liège et le bambou, plus respectueuses de l’environnement.

 

Kayak et surf, même combat !

Les kayakistes de Lannion s'entraînent dans un bassin aménagé sur le Leguer.

Les kayakistes de Lannion s’entraînent dans un bassin aménagé sur le Léguer.

Au Lannion Canoë Kayak (LCK), les jeunes du club naviguent sur le Léguer, dans un bassin aménagé à leur pratique. Cependant, si la zone d’entraînement paraît propre, ce n’est pas le cas d’autres sites dans lesquels les élèves ont évolué. C’est ce que raconte Hugo, 17 ans, licencié au club de Landerneau. « On pourrait habiller quelqu’un avec tout ce que l’on trouve dans la rivière : baskets, vêtements, motos et les bouteilles je n’en parle même pas », se désole le jeune homme. Très concerné par le respect de la nature, Hugo avoue que sa vision de l’environnement a évolué avec la pratique de son sport. « Pour passer le niveau de pagaie blanche, il y a une épreuve qui nous apprend à ne pas détruire les berges quand on navigue pour ne pas détruire l’habitat des poissons », explique-t-il.

Mathieu Ropartz livre ses précieux conseils aux jeunes surfeurs qu'il accueille tous les mercredis après-midi.

À travers ses cours, Mathieu Ropartz transmet sa passion du surf et de la nature aux jeunes qu’il accueille chaque semaine.

À l’instar des kayakistes, les surfeur·se·s sont eux-aussi en première ligne concernant les questions d’éducation à l’environnement. Du côté de Saint-Michel-en-Grève, Mathieu Ropartz, sensibilise ses élèves au respect du milieu dès les premières leçons. « Je m’efforce de leur rappeler qu’ils viennent pour une activité sportive, en adéquation avec le cadre aquatique. J’insiste sur ce point afin qu’ils prennent conscience des problèmes que leur pratique peut engendrer sur la nature », assure Mathieu. Et le message semble bien reçu par les élèves. « Si on jette du plastique dans la mer, les tortues, les dauphins et les poissons risquent d’avoir des problèmes de santé », s’excuse Laura, une jeune licenciée.

 

Éduquer les générations à venir

 

L’environnement est un sujet qui compte pour ces éducateurs dont la mission est de former les générations à venir. « Avec les plus petits, on va parler de la faune et de la flore. On insiste sur les effets néfastes du plastique lorsqu’il est abandonné dans l’eau. Maintenant, chacun amène sa gourde et non plus sa bouteille en plastique », révèle Franck Delachair, entraîneur au LCK. Malgré tous ces efforts, ce dernier reste très pessimiste sur l’avenir. « C’est de pire en pire ! Si quelqu’un voit un papier par terre ou dans l’eau, personne ne va le ramasser », s’agace le moniteur.

Pourtant, une collaboration étroite avec les collectivités locales s’est mise en place ces dernières années pour améliorer les comportements. Le LCK est ainsi représenté par un de ses membres, Jean Acqueré, auprès de l’association Vallée du Léguer qui regroupe l’ensemble des communes de Lannion Trégor Communauté et des producteurs d’eau du bassin versant du Léguer. « Mon objectif est de sensibiliser les kayakistes au respect du milieu qui leur est dédié. En parallèle, nous essayons d’organiser des sorties pour mieux appréhender la rivière via les espèces qui la peuplent », précise Jean Acqueré.

Les jeunes kayakistes lannionais s'efforcent de préserver le milieu dans lequel ils s'adonnent à leur sport.

Les jeunes kayakistes lannionais s’efforcent de préserver le milieu dans lequel ils s’adonnent à leur sport favori.

 

En parallèle, les structures nautiques peuvent compter sur l’aide d’associations dans leur travail de sensibilisation. Parmi elles, Nautisme en Bretagne, la fédération régionale des prestataires de sports et d’activités nautiques, engage « des actions de sensibilisation envers les licenciés et les scolaires à travers des classes de mers », explique Anne-Kristell Jouan, intervenante de l’association. Cette dernière accompagne et conseille 750 structures nautiques dans leurs démarches de développement. L’objectif de cette collaboration est d’initier dès le plus jeune âge, les enfants au respect de l’environnement. « Nous effectuons également des accompagnements personnalisés sur les sites de pratiques afin que les prestataires aient une meilleure connaissance de la faune qui les entourent. L’intérêt étant qu’ils sensibilisent eux-mêmes leur public par la suite », indique Anne-kristell Jouan. Cela se répercute à l’échelle locale où de nombreuses actions sont menées par les clubs nautiques trégorrois.

Encore du chemin à parcourir

Si les clubs nautiques du Trégor sont sensibles aux questions environnementales, les efforts doivent s’accentuer à l’échelle mondiale. « 8 millions de tonnes de déchets se déversent chaque année dans les océans », rappelle Julien Guerrero, bénévole à l’antenne bretonne de la Surfrider foundation Europe. Cette association, fondée en 1990 par un groupe de surfeurs européens, agit pour la protection et la mise en valeur des espaces naturels aquatiques. Elle collabore avec les écoles de surf de la région et les collectivités territoriales afin de toucher un maximum de personnes. Des actions de ramassage de déchets sont même organisées tout au long de l’année. Un travail qui s’avère payant. « Les côtes bretonnes sont relativement propres, comparées à d’autres régions comme la Méditerranée. Cependant, la présence des déchets sur le littoral n’est pas liée à l’activité touristique puisque 80 % des déchets viennent directement de la mer. D’où la nécessité de faire la prévention auprès des utilisateurs de ce milieu », signale Julien Guerrero

 

Si le littoral breton est relativement bien préservé et la ressource en eau peu impactée, de nombreux efforts restent à mener à l’échelle du pays. De même, dans des soucis de logiques sportives et financières, les activités nautiques ont connu de profondes transformations ces dernières années. En témoigne le bassin artificiel de surf créé par Kelly Slater dans le désert californien qui a accueilli récemment une manche du circuit pro. Un site demandant 60 millions de litres d’eau, pompée directement dans la nappe phréatique. Sans compter les dépenses énergétiques liées à ce pompage et au fonctionnement de cette “fausse” vague. Cet éloignement du cadre naturel a donc des répercussions sur l’environnement. Dès lors, une réflexion s’impose quant au devenir de la discipline. Tâche à l’humain de trouver les bonnes solutions.

 

Huguo PIGEON & Sabrine BENMOUMENE

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