Les Trégorroi·se·s peuvent enfin avoir l’eau à la bouche

La Bretagne serait l’une des régions les plus consommatrices d’eau en bouteille : c’est ainsi qu’elle est décrite par de nombreux articles et sites Internet. Mais les chiffres employés datent. Dans le Trégor, l’eau sortant des robinets est de très bonne qualité. Et les consommateur·rice·s ne semblent pas s’en méfier tant que ça.

« “L’eau du robinet, elle est dégueulasse”. C’est en tout cas ce qu’on entend, souvent de la part de personnes qui ne la consomment pas au quotidien », lâche Stéphane Guichard, directeur du service eau et assainissement de Lannion-Trégor Communauté. Ce préjugé, véhiculé par une partie des consommateur·rice·s, est repris en chœur par de nombreux médias. Problème : ces articles se basent souvent sur des études dépassées, dont celle de 2007 réalisée par l’Inpes et qui indiquait effectivement que 45,6 % des Breton·ne·s consommaient des eaux embouteillées, et une autre datant de 2001, menée par le Centre d’information sur l’eau, qui donnait le chiffre de 77 %.

Dix ou vingt ans plus tard, la méfiance envers l’eau courante existe-t-elle toujours ? Rien n’est moins sûr : sur sept institutions contactées – dont deux ministères, le centre d’étude des conditions de vie et les syndicats des eaux de source et minérales – aucune n’a renouvelé la recherche et n’a été capable de nous fournir des chiffres récents. Cassons le mythe : en 2018, il est impossible d’affirmer que la Bretagne est une région particulièrement méfiante de son eau courante et l’une des plus grosses consommatrices d’eau en bouteille.

Alors, comment expliquer cette idée reçue ? Dans un article du Télégramme, Thierry Panaget, chargé de l’eau à l’Agence régionale de santé (ARS), met en avant « la lourdeur de l’histoire vis-à-vis des nitrates en Bretagne, avec le retour récurrent des algues vertes […] ». Du fait de la mauvaise qualité de ses eaux, la France a été condamnée en 2013 et 2014 par la Cour de justice européenne. Le pays n’avait pas respecté la directive européenne « nitrates ». En Bretagne, première région de France en matière d’élevage porcin, cela semble avoir marqué les esprits.

Un système de traitement de l’eau bien rôdé

La réalité est tout autre : dans le Trégor, l’eau courante n’est plus vraiment « dégueulasse ». Julien Guyomard, responsable technique au Syndicat d’adduction d’eau du Trégor l’explique : « Ici, les usines pompent dans des eaux de surfaces, qui représentent 75 % de l’approvisionnement. Certes, elles sont plus enclines à être polluées, du fait de l’agriculture et de la pluie, mais des traitements (au chlore, aux UV et à l’ozone) permettent de se débarrasser de ces résidus. » Les prises d’eau se font dans le Léguer et plusieurs de ses affluents, comme le Min Ran ou le Yar. Le reste est prélevé dans des sources souterraines, plus rares du fait de la sécheresse du sol breton, mais aussi plus propres, puisque naturellement filtrées.

infographie presentant les etapes successives de collecte de l'eau (prelevement, traitement, stockage, consommation, epuration)

La pollution la plus difficile à traiter est celle en nitrates, qui a déjà valu à la France deux condamnations. Lorsque trop présentes dans l’eau, ces particules – produites notamment par l’agriculture intensive – la rendent non-potable, voire dangereuse à la consommation. Mais le sujet ne serait plus source d’inquiétudes dans le Trégor : « Aujourd’hui, l’eau du Léguer à l’état naturel est déjà sous la limite, avec 40 mg/L en moyenne », explique Julien Guyomard. La norme légale est fixée à 50 mg/L. Cette très bonne qualité du fleuve s’explique par plusieurs années d’actions et de sensibilisations. Robert Lecendre, président de l’antenne locale de l’UFC-Que Choisir est optimiste : « On ne s’est jamais attaqué à Lannion, où de gros efforts sont faits. La pollution en Bretagne, c’est fini ! Maintenant, les réseaux bretons sont en pointe pour l’eau potable, il n’y avait pas vraiment le choix. »

Pour protéger la ressource, de nouvelles réglementations ont été mises en place, avec des périmètres de sécurité autour des prises d’eau. Ils sont calculés en fonction du temps qu’une pollution met à atteindre la station de pompage. Dans ces zones, des arrêtés préfectoraux interdisent notamment l’épandage. Cela s’est accompagné de discussions avec les agriculteur·rices·s de la région. Un processus qui s’est prolongé sur plus de 20 ans. « Les mentalités évoluent aussi lentement que les sols, comme souvent avec les problèmes environnementaux », déplore Stéphane Guichard.

carte du Tregor presentant les points de captation de l'eau et leurs perimetres de securite

Carte des points de captation d’eau et de leurs périmètres de sécurité — Crédit : Lannion Trégor Communauté/SAGE Baie de Lannion

Une fois traitée, l’eau distribuée dans le réseau du syndicat contient entre 25 mg et 30 mg/L de nitrates. Les chiffres sont similaires dans les usines gérées par la communauté de communes. D’ailleurs, les critiques reçues par LTC ne concernent pas cette pollution. « Les gens se plaignent du chlore qu’il y a parfois dans l’eau », affirme le directeur du service. Difficile de lutter contre ce désagrément : le minimum légal est de 0,1 mg/L, même pour les foyers situés loin de l’usine de traitement de l’eau. « Le chlore part avec l’eau dans les tuyaux, mais sa quantité diminue au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la station. Nous sommes donc obligés d’en réinjecter en milieu de réseau pour maintenir la norme. » Robert Lecendre, de l’UFC-Que Choisir, propose une solution pragmatique : « Il suffit de remplir une carafe et de la laisser au frigo une nuit. Quand on se réveille le matin, elle n’a plus aucun goût ! » Et selon Lannion-Trégor Communauté, les usines traitant l’eau du Min Ran et du Léguer seront bientôt rénovées, pour laisser place à un traitement au charbon actif plutôt qu’au chlore. « Il est déjà employé dans l’usine du Yar près de Plestin. Et on peut dire que c’est une meilleure eau, à la fois au niveau gustatif et olfactif », affirme Stéphane Guichard.

« Buvez-là sans hésiter, elle est contrôlée ! »

Les canalisations aussi ont besoin de rénovation. Près de Saint-Brieuc, certaines sont encore en plomb, rappelle l’UFC-Que Choisir. Or, ce matériau est potentiellement dangereux pour la santé. Dans le Trégor, rien de tel. « Il existe encore des tuyaux en fonte grise, un matériau qui crée du dépôt, car il n’a pas de revêtement intérieur », renseigne le directeur du service eau de LTC. « Généralement cela n’a pas d’effet sur l’eau, tant que le débit est constant », précise-t-il. Lorsque celui-ci s’accélère (par exemple en cas de purge ou d’essai de bornes incendies), les dépôts partent avec l’eau, et elle peut couler marron. « Ce n’est pas dangereux, mais ce n’est pas agréable pour la population », prévient le directeur du service eau. Pour l’instant, il revient aux municipalités de gérer l’état du matériel. En 2020, cette compétence reviendra aux communautés de communes.

Ces quelques problèmes n’auraient pas de conséquence sur la qualité de l’eau au robinet au quotidien. Et pour le faire entendre à la population trégorroise, de nombreuses campagnes de communication ont eu lieu. L’agence régionale de santé (ARS) a distribué des cartes postales. « Buvez-la sans hésiter, elle est contrôlée ! » De son côté, le service eau de LTC a réalisé un travail de terrain : « A l’occasion de la journée internationale de l’eau, nous allions sur le marché proposer des informations et des tests à l’aveugle », se rappelle Stéphane Guichard. Ce que fait aussi l’UFC-Que Choisir. « J’ai organisé l’an dernier une réunion sur l’eau, raconte le président de l’antenne Lannion-Paimpol, et certaines personnes ont trouvé l’eau du robinet meilleure que celle en bouteille. Mais seulement en goûtant à l’aveugle : il y a un effet psychologique. » Cette pédagogie se déroule même dans les écoles. Beaucoup consommaient encore des bouteilles. Des actions ont été menées avec la communauté de communes pour employer à nouveau l’eau courante. « Et aucune des écoles test n’est repassée à la bouteille », se réjouit Stéphane Guichard. Il remarque qu’il est devenu plus facile de faire la promotion de l’eau courante. « Lorsqu’on leur explique que l’eau en bouteille n’est pas forcément plus saine, les personnes sont plus enclines à consommer celle qui coule de leur robinet. »

Une carte postale sur laquelle la planete terre distribue de l'eau via un robinet et c'est inscrit "buvez-la sans hésiter, elle est contrôlée"

Une campagne de communication de l’agence régionale de santé

Les eaux embouteillées ne sont pas gages de qualité

Mais la partie n’est pas encore gagnée et encore nombre de Breton·ne·s auraient un faible pour l’eau en bouteille, comme partout en France : à échelle nationale, un·e Français·e sur deux consomme de l’eau en bouteille. Selon le rapport de 2015 de la fédération européenne des eaux embouteillées, Natural Mineral & Spring Waters, la France est le cinquième pays le plus consommateur; à raison de 8,3 milliards de litres à l’année (soit 125 litres par habitant·e). Des chiffres qui interrogent : l’eau en bouteille représente-t-elle vraiment une alternative viable à l’eau du robinet ?

Robert Lecendre explique que, par certains aspects, l’eau produite par des sociétés privées peut être de plus mauvaise qualité que l’eau courante : « Il faut déjà distinguer les eaux de source, soumises à la même réglementation que l’eau du robinet, des minérales, disposant de leurs propres normes », explique le membre d’UFC-Que Choisir. Ainsi, certains composants de l’eau minérale peuvent atteindre des teneurs supérieures aux normes de potabilité. C’est par exemple le cas du fluor, un élément chimique dont l’ingestion en trop grande quantité fragilise la structure des os. Certaines eaux minérales en contiennent jusqu’à 5 mg/L, pour une limite fixée à 1,5 mg/L pour l’eau courante.

Mais le problème commun à ces deux eaux est leur contenant : les bouteilles en plastique. De récentes études font état de la présence de nanoparticules dans la quasi-totalité des eaux embouteillées. Issues du plastique des bouteilles, elles se diffusent dans l’eau et pénètrent le sang une fois ingérées. Si les risques que posent ces particules sur la santé humaine sont encore méconnus, chercheurs et chercheuses estiment que la menace n’est pas à prendre à la légère. Au-delà du danger pour la santé, elles provoquent un désastre écologique car il est très difficile de recycler le plastique. « L’écologie est un argument important. Mais celui du prix fait aussi réagir les consommateurs », insiste Robert Lecendre, de l’UFC-Que Choisir. En effet, les eaux embouteillées sont en moyenne 65 fois plus chères que celle du robinet.

Un argument bien compris par les Trégorrois·es, qui ont petit à petit  rejeté la bouteille en plastique, leur consommation d’eau embouteillée étant passée de 77 % en 2001 à 45 % en 2007. Une victoire pour l’eau du robinet, à supposer que cette tendance ait continué.

Briac Julliand et Mathilde Hérard

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