Les Atlas de la biodiversité, le défi de la science participative

Répertorier la faune et la flore du territoire tout en faisant participer les citoyen·ne·s, c’est, depuis juillet, l’objectif de Lannion Trégor Communauté. Un projet ambitieux sur le papier mais dont les débuts s’avèrent balbutiants.

Avez-vous déjà entendu parler des Atlas de la biodiversité ? Depuis début juillet, Lannion Trégor Communauté (LTC) a lancé l’opération des “Atlas de la biodiversité” dont le but est de répertorier les espèces habitant le territoire. Elle s’inscrit dans le cadre d’une campagne à l’échelle nationale pour inventorier la biodiversité dans les collectivités (voir encadré). Si l’objectif est avant tout scientifique, le projet est également axé autour de la participation citoyenne.

À Loguivy-Plougras, plusieurs associations participent au processus d’inventaire mis en place par LTC. Avec Lannion, La Roche-Jaudy, Pleubian et Plouaret, Loguivy-Plougras fait partie des cinq communes pilotes. Celles-ci font l’objet d’une communication et d’un suivi spécifique à l’échelle de leur ville afin de servir d’exemple aux cinquante-deux autres communes du Trégor. 

L’Atlas de la biodiversité dans les communes (ABC) est un projet d’inventaire naturaliste français de la faune, de la flore et des habitats, réalisé au niveau communal. Cette initiative institutionnelle a été lancée pour la première fois en 2010. Depuis 2016, le ministère de l’Écologie a reconduit une seconde campagne avec un objectif bien clair pour tous les bénévoles : comprendre l’environnement, sensibiliser les populations et aboutir à la réalisation d’un Atlas.
Trois acteurs jouent un rôle dans cette démarche : les communes, les associations naturalistes et les bénévoles. C’est ce qu’explique François de Beaulieu (écrivain, ethnologue et naturaliste breton, spécialiste du patrimoine naturel et culturel de la Bretagne) : “Les naturalistes font des inventaires mais qui reposent principalement sur du bénévolat et qui sont donc insuffisants par rapport aux Atlas. Il y a eu des financements pour organiser ce travail, pour le finaliser, pour aller boucher des trous dans les cartes où il n’y avait pas de bénévoles.”

Une randonnée désordonnée

Le club “Rando Beffou” fait partie des associations sur lesquelles comptent la mairie pour effectuer le travail d’indexation. Le club organise des marches autour de la forêt de Beffou. Cette dernière, grande de 630 hectares, abrite le point culminant du Trégor à 322 mètres et possède de nombreuses espèces, connues ou encore méconnues des naturalistes. Une fois par semaine, les bénévoles se regroupent pour répertorier la biodiversité environnante. C’est du moins ce qui est présenté comme tel sur le papier. Mardi 17 septembre, ils·elles sont donc une vingtaine à participer à cette marche. Seulement voilà, dans l’équipe de marcheurs·ses, pratiquement personne n’a entendu parler du projet. “L’Atlas de quoi ?” demande même la présidente de la “Rando Beffou”, Yvette Connan. En réalité, le groupe de randonneurs·ses n’a jamais répertorié quoi que ce soit. Hippolyte Le Gall, l’unique chasseur du groupe et normalement membre du comité de suivi d’action sur la commune, est le seul à connaître les “Atlas de la biodiversité”. S’il participe à la démarche, il avoue ne pas être certain de ce qui est attendu : “On a fait une promenade il y a quelques mois avec des bénévoles, mais on nous a pas expliqué grand chose. On ne comprend pas à quoi ça sert.” Avant d’ajouter : “On n’a pas vraiment de consignes. Ici, personne ne savait qu’on avait pour mission de recenser la faune et la flore. Ce n’est qu’un club de randonnée ”.

Formation accélérée

Le coordinateur du projet pour LTC, Mathieu Bredèche, avoue ne pas très bien comprendre. “La communication n’est pas bien passée” constate-t-il un peu désemparé. De son côté, Bernard Wolf, adjoint au maire de Loguivy-Plougras et référent des “Atlas” sur sa collectivité, s’étonne. Il assure avoir briefé les responsables du groupe plusieurs fois sur les consignes à suivre. « Pas grave » se dit cependant Mathieu Bredèche, venu pour la première fois à cette marche. Quitte à être là, autant que cela soit utile. Il profite de l’opportunité pour faire découvrir les “Atlas” aux marcheurs·ses et faire une partie de la randonnée à leur côté pour présenter la méthode de travail. Le message est clair : dès que les promeneurs·ses rencontrent un animal, insecte ou plante, ils·elles doivent les prendre en photo et l’envoyer à LTC. 

Mathieu Bredèche, coordinateur du projet, attrape des insectes dans son filet.

Armé de son filet à papillon, Mathieu Bredèche, coordinateur du projet, attrape des insectes dans son filet pour les faire découvrir aux randonneurs. Après quelques kilomètres, le coordinateur laisse les randonneurs·ses finir seul·e·s. Il doit rentrer plus tôt et rebrousse le chemin après avoir distribué quelques documents. Au parking où les voitures du club de marcheur·se sont stationnées, il en profite pour glisser à nouveau quelques prospectus sur les pare-brises. Mathieu Bredèche note sa découverte : une coccinelle à 22 points. Il explique ensuite aux bénévoles comment procéder à l’inventaire. 

Mathieu Bredèche note sa découverte : une coccinelle à 22 points.

“On n’a pas une bonne communication”

Le soir-même, une réunion a lieu à Plouaret, autre ville pilote pour dresser un premier bilan de l’été. Dans la salle de réception, seulement cinq personnes sont présentes. Parmi elles, deux responsables du projet dont Mathieu Bredèche, deux élus de Plouaret et Hervé Cabel. Photographe animalier, ce dernier est le seul bénévole réellement extérieur à LTC. La sollicitation des habitants dans une expérience de participation locale est souvent synonyme d’un intérêt particulier des citoyens, comme l’explique Loïc Blondiaux dans “Publics imaginés et publics réels”.  “On n’a pas une bonne communication”, admet Frédéric Le Guern, conseillé délégué de l’urbanisme et du patrimoine de Plouaret. La communication, c’est le point fort de Saint-Lunaire, ville située à côté de Dinard. En février dernier, les élu·e·s de Plouaret s’étaient déplacé·e·s dans la commune d’Ille-et-Vilaine, pour prendre exemple sur cette ville, en avance sur les questions environnementales. 

Saint-Lunaire, le modèle

Depuis 2018, Saint-Lunaire participe aux “Atlas de la biodiversité”. Cette commune d’environ 2 300 habitant·e·s, s’est appuyée sur la démocratie participative pour faire avancer ce projet. “Cela fait maintenant une dizaine d’années que l’on mise sur la communication des associations pour sensibiliser à l’environnement”, rapporte Emmanuel Cibert, du pôle développement durable de la mairie. Saint-Lunaire mise donc sur les associations pour promouvoir l’éducation à l’environnement, notamment dans les écoles. Un travail de longue haleine qui a rendu la démarche participative des “Atlas de la biodiversité” beaucoup plus simple, dans une commune où tous les habitant·e·s étaient déjà sensibilisé·e·s. Frédéric Le Guern, élu à Plouaret, admet lui-même que “Saint-Lunaire est un peu trop en avance sur Plouaret. C’est trop ambitieux de vouloir les rattraper pour le moment.” À l’heure actuelle, “une cinquantaine de personnes dans le Trégor sont impliquées, dont une douzaine à Plouaret”, détaille Mathieu Bredèche. Le responsable préfère voir le côté positif en faisant remarquer que c’est deux fois plus qu’au mois précédent, espérant que la dynamique continue dans ce sens.

Les associations indispensables

Les associations naturalistes sont en réalité indispensables de par leurs expertises sur la biodiversité, mais aussi dans des processus participatifs. La participation, ça ne se décrète pas, ça s’organise, se co-organise même. L’effet cerise sur la gâteau, c’est cette impression que le côté participatif de la démarche, s’il n’est pas inutile, n’a que peu d’intérêt et sert principalement à donner une bonne image à une politique qui est majoritairement conçue par des élus et experts qui travaillent sur un projet.

“Le participatif ne fonctionne pas toujours”

Pierre Alexis Rault, chargé de mission scientifique à Vivarmor et acteur des “Atlas de biodiversité” dans le secteur de Lamballe-Terre-et-Mer, témoigne de la difficulté à mobiliser. Lui qui travaille sur les Altas depuis déjà quelques années observe que “tout le monde n’est pas naturaliste […] et je peux comprendre que sur son temps libre, on ait envie de faire autre chose” continue-t-il. Pas dramatique pour autant, pour lui, l’important est avant tout que la population soit sensibilisée. Cependant, ces inventaires “reposent principalement sur du bénévolat et sont donc insuffisants par rapport aux Atlas. Il y a eu des financements pour organiser ce travail, pour le finaliser, pour aller boucher des trous dans les cartes où il n’y avait pas de bénévoles”, analyse François de Beaulieu, secrétaire général de Bretagne Vivante. Avant d’ajouter, “Il faut des moyens et heureusement que l’État a fini par comprendre qu’il y avait un besoin pour avoir des salarié·e·s, pour assurer le suivi et l’animation, parce que les bénévoles sont limité·e·s.”

64 000 euros destinés aux inventaires des associations

Sur les 120 000 euros attribués par l’Agence Française de la Biodiversité (AFB) à LTC, afin que le projet puisse aboutir, 64 000 sont destinés aux inventaires effectués par les associations naturalistes (Vivarmor nature, Groupe mammalogique breton, Groupe d’étude des invertébrés armoricains, Groupe d’étude des oiseaux des Côtes d’Armor…). C’est donc plus de la moitié du budget qui est consacré à payer les professionnel·le·s afin qu’ils·elles puissent référencer ce qu’ils·elles observent sur le terrain. C’est le cas du Groupe d’Étude des Invertébrés Armoricains (GRECIA). “Nous faisons du référencement depuis notre création en 1996. LTC nous a contacté à ce sujet et nous avons déjà effectués trois référencements à la demande de LTC pour les Atlas de la biodiversité”, explique Lionel Picard, chargé de missions pour GRECIA en Bretagne.

Au total, ce sont en réalité 86 000 euros qui sont destinés aux associations. Cet argent sert notamment aux prestations d’inventaires, aux synthèses naturalistes, mais également aux prestations d’animations et d’éducation à l’environnement. Autrement dit, la démarche des “Atlas de la biodiversité” ne peut pas se passer des associations. Pour autant, il est actuellement difficile d’analyser le rôle qu’elles jouent concrètement puisque le processus n’est enclenché que depuis peu. 

Toutefois, le projet n’en est qu’à ses débuts. Malgré la difficulté à mettre la machine en marche, il reste encore un an et demi à LTC pour éviter les écueils que connaissent généralement les projets participatifs. Mais en réalité, la démarche participative est-elle vraiment pertinente ? Pour Lionel Picard, de GRECIA “c’est important d’impliquer la population, mais il faut les faire participer à hauteur de leurs compétences. Il faut réussir à associer publics et experts”. Un défi que devra relever LTC dans les mois à venir.

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