Écolos bretons : vagues vertes et sac de nœuds

De multiples évènements ont marqué l’histoire de la Bretagne. Plusieurs naufrages de pétroliers causant des marées noires comme le Torrey Canyon en 1967 ou l’Amoco Cadiz, en 1978. Le projet de création de centrales nucléaires dites “centrales baladeuses”… Ces épisodes ont mobilisé la société civile bretonne et participé à la création des premiers réseaux militants. Progressivement, la Bretagne embrasse la cause écologiste.

Vêtu de blanc et de marron de la tête au pied, seule une élégante fleur rouge se dresse sur son veston. “Le mouvement des coquelicots, ça vous parle non ?” s’amuse François de Beaulieu. 

Le Trégorrois est co-président du mouvement national anti-pesticides Nous voulons des coquelicots. Un statut hérité de son long engagement militant pour la biodiversité et l’environnement. “J’ai commencé à m’intéresser à la protection de la nature dans les Monts d’Arrée le jour où j’ai observé un Busard Saint-Martin chasser des mulots dans un champ. C’était tellement beau que j’ai voulu en savoir plus, en tirant sur le fil j’ai fini par m’occuper de la création d’une réserve pour protéger la nature”. À force d’investissement, François de Beaulieu devient le secrétaire général de Bretagne Vivante en 1998. Une association créée en 1953 sous le nom de Société pour l’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne (SEPNB), ce qui fait d’elle la plus ancienne association environnementale de la région.

François de Beaulieu, co-président du mouvement national « Nous voulons des coquelicots » et ancien secrétaire général de Bretagne Vivante.

 Les pionniers

 

À l’initiative de la SEPNB, deux hommes, Michel-Hervé Julien et Albert Lucas. Tous deux étudiants ornithologues puis enseignants dans la matière, ils avaient pour habitude d’emmener des classes d’élèves étudier la nature et les oiseaux en milieu naturel.
Passionnés par la faune et la flore, le 30 novembre 1953, ils créent la revue Penn Ar Bed (qui peut se traduire par Le bout de la terre) pour sensibiliser et informer la population sur la protection de la biodiversité. En décembre 1953, la jeune association compte 450 membres, qui appartiennent surtout au monde enseignant. Des notables de tous les départements bretons, parrainés par le recteur et les professeurs de l’Université de Rennes, sont aussi adhérents.

Si François de Beaulieu n’était pas membre de la SEPNB lors sa création, il n’en reste pas moins intarissable à son sujet : “Au début, l’association était pionnière, des scientifiques et universitaires étaient tout seuls à parler de protection de la nature. Puis, dans les années 70 l’association a connu une recrudescence de membres, et a obtenu des financements de l’État”.


À sa création, dans les années 50-60, il y avait beaucoup de scientifiques universitaires très policés et loin d’être contestataires”, développe Tudi Kernalegenn, historien et auteur du livre Histoire de l’écologie en Bretagne“Puis dans les années 70, on observe un changement de dogme avec la lutte antinucléaire. Celle-ci était beaucoup plus contestataire et radicale envers les autorités avec beaucoup de manifestations et de combats durs”, ajoute-il. La SEPNB connaît alors une recrudescence de membres. Le profil de l’association change, elle devient de plus en plus militante. 

 

Marées noires et combats antinucléaires


Le nombre d’adhérent·e·s à la SEPNB augmente au fur et à mesure que le grand public se sensibilise à la cause environnementale. “Bon nombre de gens ont attendu un point de rupture pour se tourner vers l’écologie. Les marées noires sont des évènements qui ont tristement participé au succès de nos organisations”, déplore François de Beaulieu.
Assis sur son fauteuil en tissu rouge et entouré de plantes vertes, il énumère les catastrophes. De 1967 à 1980, l’histoire dénombre six naufrages de pétroliers au large des côtes bretonnes.

Le 18 mars 1967, le pétrolier Torrey Canyon transporte 121 000 tonnes de pétrole brut. Il s’échoue entre les îles Sorlingues et la côte britannique. Plusieurs nappes de pétrole dérivent dans la Manche, et atteignent les côtes françaises. “Le 11 avril 1967, la SEPNB organise une opération de sauvetage des oiseaux mazoutés. C’est à ce moment-là que de nombreux bénévoles découvrent le caractère dérisoire des moyens de lutte”, se souvient François de Beaulieu. “Des pelles et des seaux contre des tonnes de pétrole”, explique Tudi Kernalegenn.
L’épisode du Torrey Canyon n’est que le point de départ d’une série de marées noires. À chaque nouvel accident, les Breton·ne·s se mobilisent, se fédèrent, s’organisent et cela dans toute la région. Evénement majeur dans l’histoire des réseaux militants de la région : la catastrophe de l’Amoco Cadiz imprègne les mémoires de toute une génération. Le 16 mars 1978, le naufrage d’un pétrolier libérien provoque une pollution maritime sans précédent : plus de 220 000 tonnes de fuel se répandent sur les côtes. Les réactions politiques pleuvent : les organisations écologistes, associations en tête, dénoncent “le gigantisme des navires, le manque de précautions, le manque d’efficacité du gouvernement face aux multinationales pétrolières”, liste Tudi Kernalegenn. Très vite la colère donne lieu à des actes. Les traditionnels nettoyages des plages mazoutées se transforment en contestation du système capitaliste. Des manifestations d’ampleur sont organisées partout dans la région et des comités anti-marées noires sont créés. À leurs têtes, des acteurs·rice·s de la lutte antinucléaire. Ces dernier·ère·s organisent un rassemblement à Brest, le 23 septembre 1978.  Au bout d’une semaine 20 000 personnes avaient répondu à l’appel. Dans le cortège, les manifestant·e·s scandaient en chœur : “Mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain”.


Encouragée par le succès de ces manifestations, la lutte antinucléaire prend une autre dimension. Les comités locaux d’information sur le nucléaire (Clin) et les comités anti-marées noires convergent. Si le gouvernement déploie le plan PolMar (plan de secours déclenché en cas de pollution marine), les observateur·trice·s de l’époque dénoncent son impuissance : les 14 kilomètres de barrage déployés pour l’occasion sont débordés, les bateaux anti-pollutions sont chahutés par une mer agitée. Les pêcheurs dénoncent l’inefficacité des produits dispersants. Scientifiques et écologistes attestent de leur toxicité pour la faune et flore. Devant ce scandale naissant, le plan Orsec-Rad (le dispositif de gestion de crise pour les accidents nucléaires) perd de la crédibilité aux yeux des écologistes. La contestation antinucléaire s’accentue ; les manifestations sont médiatisées à l’échelle nationale.
Quand François de Beaulieu évoque cette période, un brin de nostalgie se fait entendre dans sa voix :“Aujourd’hui encore, sur certaines manifestations, il m’arrive de retrouver des personnes rencontrées lors de cette période. Pour moi Plogoff, et plus largement la lutte contre le nucléaire, a été un point central dans la construction de nos mouvements”.

 

[PODCAST] Dans les années 1970, l’émergence des idées écologistes est aussi liée au renouveau de la culture bretonne…

 

L’écologie s’invite en politique 

 

Rapidement, le combat des Clin prend une dimension plus politique. En 1975, les comités locaux se réunissent à Porsmoguer, dans le Finistère. Ensemble, ils rédigent la Plateforme de Porsmoguer dans laquelle ils définissent des axes idéologiques. Les associations y défendent “une société décentralisée, autogérée et non productiviste”. Pour l’historien Tudi Kernalegenn, cette plateforme peut être considérée “comme la naissance de l’écologie politique en Bretagne ». Pierre Morvan, responsable de la section Trégor-Goëlo de l’Union Démocratique Bretonne (UDB), nuance : “Créé en 1964, notre parti a été pionnier sur certaines questions environnementales : la bétonisation de la presqu’île de Ruiz, par exemple. Notre engagement se tourne vers une société décentralisée et autonome et cela remonte avant même les premiers combats antinucléaires en Bretagne”.

Vingt ans plus tard, un nouveau parti écologiste est créé : Les Verts. Laurent Lintanf est l’un des fondateurs de l’antenne du parti à Guingamp et président de Sortir du Nucléaire Trégor 22. Il se souvient du profil des militants de l’époque : “C’était surtout des jeunes intéressés par l’écologie, mais beaucoup étaient engagé·e·s dans d’autres luttes : la défense des minorités, la promotion de la culture bretonne ou encore le droit des femmes. Nous partagions une vision commune de la société idéale qui allait plus loin que la simple défense de l’environnement”.

 

S’engager autrement 

 

Mais l’engagement politique n’a pas été une évidence pour tout le monde. De nombreux militant·e·s écologistes ont préféré rester impliqué·e·s dans des associations comme la SEPNB. Après avoir été candidat aux élections législatives en 1978 sous l’étiquette Écologie Bretagne 78, François de Beaulieu décide de revenir définitivement dans le monde associatif. Un choix qu’il justifie :  “Un des points forts de l’association est d’avoir la capacité d’aller en justice et d’obtenir des condamnations pour faire de beaux projets avec des collectivités, mais aussi pour pouvoir leur dire à un certain moment : non c’est pas comme ça qu’il faut faire”. Mais ce n’est pas le seul rôle de l’association bretonne. Après avoir traversé une période difficile dans les années 1980 où elle a perdu des subventions et de nombreux adhérents, la SEPNB adopte une nouvelle stratégie. L’association s’institutionnalise, elle “abandonne l’ambition d’incarner un mouvement d’opinion”. La pédagogie et la sensibilisation du public devient le fer-de-lance de la structure, qui se rapproche des collectivités locales au cours du temps.

 

[PODCAST] Certaines associations écologistes travaillent en collaboration avec les collectivités pour réaliser des projets communs et sensibiliser la population locale…


“Les associations nourrissent le politique, elles jouent un rôle de think tank”

 

Une interdépendance du monde politique et associatif qui s’étendrait aussi aux partis politiques, c’est en tout cas l’idée que Tudi Kernalegenn défend : “Ces associations apportent une expertise très précieuse dans les différents domaines qui les caractérisent”. D’après le président de Sortir du nucléaire Trégor, Laurent Lintanf, les associations ont un rôle de Think Tank, de laboratoire d’idées. Intervenant à la demande de différents partis politiques pour présenter les enjeux de la menace nucléaire, il raconte : “Il ne faut pas opposer les deux, ce serait une erreur. L’associatif nourrit le politique et le politique nourrit aussi la réflexion des associatifs. Je pense qu’il faut parler de complémentarité.” Ce que défend également François de Beaulieu. Mais pour l’ancien président de Bretagne Vivante, il est aussi important de parler de l’indépendance des association vis-à-vis des partis politiques. Dans son fauteuil en tissu rouge, une tasse de café entre les doigts, il conclut : “Il y a toujours eu des cloisons étanches entre engagement politique et engagement associatif à Bretagne Vivante. On a tous à coeur la défense de l’environnement mais nos modes d’action et d’organisation sont vraiment différents.”

 

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