Fous de Bassan, vraiment victimes de la surpêche?

En 1912, pour lutter contre le massacre des macareux moines, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) place sous protection le site des Sept Îles. Cette réserve naturelle compte aujourd’hui 25 000 couples d’oiseaux de mer dont quelque 20 000 couples de fous de Bassan. Depuis une dizaine d’années, des médias non spécialisés pointent le déclin de cet oiseau et la responsabilité de la pêche sur celui-ci. Dénonçant les raccourcis parfois véhiculés, les chercheurs et le personnel des Sept-Îles s’inquiètent néanmoins quant au devenir de la colonie.

Chalutiers amarrés au port de Locquémeau.

 

« Archipel des Sept Îles. La colonie des fous de bassan bat de l’aile » (Ouest France, 15/02/2018), « Fous de Bassan et macareux moines menacés dans leur dernier bastion en métropole » (France 3 Bretagne, 10/01/2017). Armel Deniau, technicien au sein de la réserve naturelle des Sept Îles depuis 2001, dénonce cette dramatisation médiatique. « On peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres.»

Selon le technicien, tous les ans, la réserve publie deux chiffres différents concernant l’effectif des fous de Bassan. Le premier étant le maximum de couples que l’île peut accueillir et le second, le minimum. Il dénonce alors leur mauvaise utilisation par les journalistes, qui établissent des comparaisons entre le nombre de couples minimum et le nombre de couples maximum. « Nous ne pouvons pas déclarer que les fous de Bassan sur les Sept Îles sont en déclin. Pour le moment, nous observons juste une stagnation de cette population depuis 2013 ainsi qu’un échec de reproduction.»

La chute du taux de naissances est en effet considérable. Tous les ans, cent nids sont désignés comme indicateurs de naissance. Les techniciens les observent à l’aide d’une caméra pendant la période de reproduction. Le but ? Estimer le nombre de naissances dans ces nids témoins, puis extrapoler ce résultat à l’échelle de la colonie. Cette année, sur les cent couples étudiés, seulement vingt nouveau-nés vont prendre le large. En 2002, ce chiffre était de 84. « Nous ne sommes jamais descendus aussi bas. Malgré les bonnes conditions de vie, le taux de naissances est en chute libre », conclut-il.

 

Comptage à revoir

Le comptage porte aussi sur la taille de la colonie. Du chiffrage du nombre d’oiseaux qui se posaient sur l’eau, les scientifiques sont aujourd’hui passés aux photographies aériennes : chaque tache blanche correspond à un nid, celui-ci équivalant à un couple. En 2017, 22 000 couples étaient comptés sur l’île. « Cependant, ces chiffres sont à reconsidérer. Nous avons réalisé que certains oiseaux ne restent pas couver leurs œufs et quittent l’île avant la période de comptage. Nous avancerons donc cette période pour 2019 », indique Armel Deniau.

A l’instar du reste du personnel, le spécialiste s’alarme du devenir de la population des fous dans les Sept Îles. « Le fou de Bassan ayant une durée de vie de vingt ans, c’est lors du prochain renouvellement de génération que nous constaterons l’impact du déclin des naissances. » La colonie risque alors d’entrer dans une phase de déclin.

 

Des GPS pour mieux comprendre le fonctionnement de l’espèce

Comprendre ce déclin sur les Sept-Îles : telle est la mission que se donne l’équipe de la réserve naturelle, en collaboration avec le centre d’écologie fonctionnel et évolutive (CEFE) de Montpellier. David Gremillet, chercheur au CEFE, étudie leur population depuis 25 ans. « En commençant le suivi en 2005, nous nous sommes rendus compte que les oiseaux produisaient un effort de recherche disproportionné par rapport à la taille de la colonie », explique le chercheur.

La taille allant de paire avec le rayon d’action et la durée de leurs voyages, celui de la colonie des Sept Îles surprenait. « À l’époque, nous nous disions déjà que les fous travaillaient très dur pour se nourrir. Mais en constatant récemment que le fou de Bassan faisait cent cinquante kilomètres de plus qu’en 2005, nous nous sommes alarmés », raconte-il. Le fou du Cap, en Afrique du Sud, avait en effet présenté le même symptôme, quelques années plus tôt. Cette espèce est aujourd’hui en voie de disparition.

Le fou de Bassan n’est pas le seul oiseau dans une situation incertaine. Le macareux moine se trouve lui aussi en état de stagnation. Mais, nichant sous-terre, son évaluation s’avère plus difficile et donc moins fiable que celle des fous de Bassan.

 

Infographie: Evolution des Fous

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Afin de mieux comprendre le développement de leur aire de recherche de nourriture et suivre leurs déplacements, les scientifiques améliorent les méthodes. Ces dernières leur permettent d’identifier les zones de ressources halieutiques. L’évolution technologique a rendu possible l’émergence de nouveaux outils. « L’arrivée du GPS à la fin des années 1990 a vraiment été révolutionnaire. Ce n’est qu’au début des années 2000 que nous avons commencé à l’utiliser », explique David Gremillet. Le fou de Bassan fait partie de la première espèce équipée de cet outil.

Alors que jusque là, les chercheurs n’avaient aucune donnée sur leur répartition en mer, le GPS leur a fourni une cartographie précise de leurs mouvements. « Notre compréhension de leur comportement a complètement changé », précise le spécialiste. Aujourd’hui, ce moyen technologique est mis au service de la réserve naturelle des Sept Îles.

 

La pêche industrielle pointée du doigt

Lors de leur longue quête de nourriture, les rats et les chiens se révèlent être à terre de terribles prédateurs. La Ligue de protection des oiseaux (LPO) s’occupe d’apporter les soins nécessaires avant de réhabiliter les oiseaux au sein de leur habitat naturel.

Surtout, les fous peuvent être victimes des captures accidentelles des filets de pêche et se blesser. « On compte de moins en moins de prises accidentelles en Europe en raison de l’évolution des outils de pêche. Cependant, ce facteur reste important sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest, région vers lesquelles migrent  les fous en hiver », tempère David Gremillet.

 

Vidéo présentation des soins à la LPO pour les Fous de Bassan

Certains pêcheurs s’engagent quant à eux dans une pêche responsable et durable. Vincent Cadran est pêcheur depuis quatre ans. À bord de son chalutier l‘Hyperbole, il observe l’impact de l’activité des pêcheurs industriels sur la biodiversité trégorroise. Tous les jours, il part du port de Locquémeau. Difficile d’imaginer ce patron pêcheur plus libre que sur son chalutier de dix mètres. Pourtant, les limites à respecter abondent.

Vincent affirme que la gestion des ressources halieutiques n’est pas adaptée au contexte trégorrois. Il dénonce une vision « technocratique et industrielle » de l’Europe, contraire aux valeurs des pêcheurs locaux.

« Plus il y a de poissons, plus on est content. Contrairement aux industriels, notre but n’est pas de tout prendre aujourd’hui et de ne rien laisser pour demain ! » Révolté, il se lance dans la « liste des absurdités imposées par l’Europe. »  Actuellement, la mesure d’interdiction du rejet des déchets, s’impose comme le sujet de discorde. La crainte est que, de plus en plus dépendants de ces rejets, les oiseaux doivent élargir à nouveau leur rayon de recherche de nourriture.

Pour aller plus loin dans la sensibilisation des pêcheurs

 

Grâce aux données récoltées, les chercheur·e·s peuvent à présent mieux appréhender les problèmes auxquels font face les fous de Bassan. Elles·Ils peuvent ainsi anticiper en  conseillant la protection de certaines zones maritimes. Bien que motivé·e·s et engagé·e·s, les spécialistes ne sentent pas leurs propos pris en considération. “ L’environnement est loin d’être la priorité du gouvernement.”, exprime avec lassitude, le technicien de la réserve des Sept Îles, Armel Deniau.

 

 

Anaëlle Abasq, Mariam Koné

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