Boues d’épuration : entre apport agricole et dangers sanitaires

Les eaux usées sont collectées puis acheminées vers les stations d’épuration où elles sont traitées. Ce dispositif génère des résidus appelés « boues d’épuration », qui sont  stockées puis évacuées pour épandage, une technique utilisée par les agricult·rice·eur·s afin de fertiliser les sols. Toutefois, différentes réglementations ont été mises en place pour réduire les potentiels effets polluants de ces boues sur l’environnement. 

Bassin d’aération où se développent des bactéries qui se nourrissent de la pollution organique présente dans les effluents.

Le calme laisse place au vacarme des machines de la station d’épuration de Lannion. Située à quelques kilomètres du centre-ville, cette station inaugurée en 1972 borde le Léguer, fleuve côtier emblématique de la capitale du Trégor. Dans ce lieu isolé des riverain·e·s, où la végétation règne, près de 3 000 m3 d’eau sont traités et rejetés par jour, soit la consommation de 22 700 habitant·e·s. Résidus issus de ce traitement, 2 500 m3 de boues d’épuration sont aussi produits annuellement par la station lannionnaise. Elles sont utilisées sur les terrains agricoles pour fertiliser les sols, une alternative aux engrais chimiques. Mais ces boues sont-elles sans danger pour l’être humain et l’environnement ? « Aucun produit chimique n’est utilisé lors du traitement. Une station est avant tout un élevage de bactéries. Les traitements sont entièrement naturels grâce à l’oxygène qui permet la prolifération de bactéries. La présence de métaux lourds (ndlr : cuivre, zinc, aluminium..) dans les boues est inexistante. Par contre, la matière organique non dégradée qui provient des êtres-vivants permet l’épandage des boues en raison de sa forte qualité fertilisante. Toutefois, cela varie en fonction des lieux et de la teneur des sols », assure Arnaud Buzulier, responsable du premier secteur d’exploitation de l’assainissement collectif à Lannion Trégor Communauté.

Arnaud Buzulier, responsable du premier secteur d’exploitation de l’assainissement collectif à Lannion Trégor Communauté.

 

« Les pathogènes présents dans les boues proviennent de l’homme et des animaux »

En France, entre six et sept millions de m3 de boues agricoles sont épandus chaque année. Si Arnaud Buzulier se veut rassurant, la composition de ces boues fait pourtant débat. Elles sont composées à 70 % d’eau et à 30 % de matières sèches, elles-mêmes constituées de matières organiques et minérales. « Les polluants ne sont pas tous dégradés par la station donc ils se retrouvent dans les boues », explique Dominique Le Goux, chargée de mission santé et pesticides de l’association Eaux et Rivières de Bretagne. Parmi les éléments préoccupants : la présence d’agents pathogènes, comme des bactéries, des parasites et autres micro-organismes potentiellement dangereux pour la santé. « Tous ces éléments présents proviennent de l’homme, des animaux ou d’une manière générale de notre habitat urbain », explique Hubert Brunet, directeur général adjoint SEDE Environnement, une entreprise travaillant auprès des collectivités productrices de boues d’épuration pour assurer leur évacuation et leur valorisation. Pour le spécialiste, ces agents pathogènes seraient cependant neutralisés par l’épandage : « une fois dans la nature, et particulièrement dans le sol, ils se retrouvent dans un milieu hostile à leur développement : froid, trop sec ou trop humide », assure-t-il. Avant d’être utilisées par les agricult·rice·eur·s volontaires, les boues sont stockées une partie de l’année dans la station d’épuration, où elles subissent un traitement préventif. « Elles sont mélangées avec de la chaux-vive afin d’éviter le développement des bactéries et donc limiter les odeurs nauséabondes », explique Arnaud Buzulier, responsable de la station lannionnaise. Malgré toutes ces précautions, l’épandage reste interdit du 1er septembre au 1er avril, en raison du temps et des précipitations qui réhumidifient la matière et relance le processus de prolifération des bactéries.

Etape de déshuilage.

Des molécules médicamenteuses qui ne peuvent être éliminées

Les agents pathogènes ne sont pas les seuls indésirables contenus dans les boues d’épuration. Celles-ci peuvent aussi renfermer des métaux lourds, de la caféine, des drogues, des pesticides, des résidus médicamenteux, des hormones ou encore des composés chimiques nocifs, comme ceux issus des détergents utilisés pour la vaisselle. Autant de produits issus des rejets industriels, agricoles ou urbains, tout d’abord concentrés dans les eaux usées avant de venir polluer les boues d’épuration. 

« Les perturbateurs endocriniens peuvent également contaminer les boues », affirme Martine Kammerer, professeur de toxicologie animale au centre anti-poison environnemental de Nantes. Ceux-ci sont des substances chimiques capables de perturber le système endocrinien, chargé de réguler nos hormones. Parmi ces perturbateurs, on compte les molécules contenues dans les pilules contraceptives, mais aussi les hormones stéroïdiennes présentes dans certains médicaments. Comme il est impossible de les traiter, elles persistent dans l’environnement, contaminent les eaux et par la même occasion, se retrouvent dans les boues.

Bassin clarificateur à la station de Lannion.

Une avancée considérable en 20 ans

Avant d’être prises en considération, les boues d’épuration ont longtemps défrayé la chronique. Mais depuis les années 1997-1998, une réglementation relative à l’épandage des boues de station d’épuration urbaines a vu le jour. Une directive du 31 décembre 1998 renforce cette technique agricole : « le rejet des boues provenant de stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires doit faire l’objet de règles générales ou doit être soumis à enregistrement ou à autorisation ». Une façon de réduire les effets polluants sur l’environnement et donc l’intoxication de la faune et de la flore. Auparavant, elles étaient stockées à l’air libre dans des bennes et séchaient au soleil pendant plusieurs semaines. Désormais, les étapes d’assèchement sont réglementées. Des prélèvements sont aussi réalisés avant et après l’épandage agricole pour réaliser un suivi des sols. Ces derniers sont effectués par l’Inspection des Installations Classées, une entité qui s’occupe de la prévention des risques et lutte contre les pollutions. Car la dose minimale infectante (DMI) permet de définir s’il y a danger ou non pour l’humain et l’animal. Pour déterminer le nombre de substances dangereuses, une évaluation des risques sanitaires liés au retour au sol des boues d’épuration a été menée par le Syndicat des professionnels du recyclage en agriculture (Syprea), en 2007. Un recensement de 1 500 substances a été effectué, dont 114 sélectionnées avec un fort risque de contamination de la chaîne alimentaire. « Différents scénarios ont été analysés. Par exemple, des enfants d’agriculteurs bénéficiant de l’épandage peuvent jouer sur des parcelles et mettent leurs mains à la bouche. Avec potentiellement des substances à risques. Ce scénario nous a incité à faire de la prévention », explique Hubert Brunet, président du Syprea. Cependant, l’évaluation du danger potentiel de l’épandage avec les boues est difficile.

Matière utilisée pour l’épandage après le séchage.

Cet épandage représenterait en tout cas une solution moins polluante que les engrais chimique. Et malgré de nombreuses substances encore présentes dans ces boues, des précautions sont prises par les pouvoirs publics lors de dysfonctionnements afin de ne pas impacter la santé publique. « C’est la dose qui fait le poison. Au centre anti-poison, nous ne prenons pas en compte le risque écologique mais avant tout le risque pour la santé publique », décrit Martine Kammerer.

 


 

En savoir plus 

De fréquents débordements à la station de Perros-Guirec

La pluie, lorsqu’elle tombe en abondance, entraîne parfois des problèmes de débordements. C’est le cas de la station perrosienne mise en service en 2010, qui peut parfois rejeter les eaux sales en mer. La raison ? Un dysfonctionnement du processus d’épuration. En effet, les eaux de mer s’infiltrent et se mélangent avec les eaux usées. « C’est la station la plus fonctionnelle du Trégor, car c’est la plus récente. Elle est donc dotée de nouvelles machines. Mais de la mi-décembre à la mi-mars, il y a des débordements à répétition », détaille Arnaud Buzulier, responsable du premier secteur d’exploitation de l’assainissement collectif à Lannion-Trégor Communauté. « L’équipement a été sous-dimensionné, nous pouvons traiter 6000 m3 par jour mais il y a parfois en hiver jusqu’à 12 000 m3 ». L’état du réseau d’assainissement s’avère obsolète. Pour y remédier, des travaux sont prévus pour 2021.

 

Les odeurs nauséabondes à Plouisy

À Plouisy, c’est un autre problème qui a été constaté entre 2015 et 2016. Des odeurs nauséabondes insoutenables pour les riverain·e·s, en fonction de l’orientation des vents. Les habitant·e·s les plus proches se sont plaints auprès la communauté d’agglomération guingampaise qui gère la station de compostage afin d’alerter les élu·e·s locaux sur les odeurs dégagées. Des contestations qui ont permis l’installation d’une tour d’acide pour le traitement des odeurs en juillet 2016, et ainsi mettre fin aux désagréments des riverain·e·s.

 

Les débordements à Paimpol

Lorsque les eaux épurées directement rejetées dans le milieu naturel posent un problème de santé publique, des arrêtés préfectoraux peuvent être pris. Par exemple, le 22 février dernier à Paimpol, un dysfonctionnement de la station d’épuration de la ville a provoqué une contamination par norovirus (gastro-entérite). La cause ? Une fuite qui a contraint le préfet à interdire la pêche et le ramassage de coquillages pour éviter la moindre contagion, les boues s’étant retrouvées en contact avec l’eau de mer, sa faune et sa flore. La situation avait provoqué, à l’époque, une baisse de la vente des animaux marins.

 

Sarah Hadrane et Mathieu Marin

 

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