Le Léguer, une rivière vraiment sauvage ?

Le Léguer, fleuve des Côtes d'Armor en Bretagne, est labellisé "Sites Rivières Sauvages" depuis le 20 octobre 2017. Le logo bleu du label devant le fleuve Léguer, sous le ciel bleu.

Le Léguer, fleuve des Côtes d’Armor en Bretagne, est labellisé « Sites Rivières Sauvages » depuis le 20 octobre 2017. Photo Jordan GUERIN-MORIN

A l’ouest des Côtes-d’Armor, le Léguer est classé Rivières Sauvages depuis octobre 2017. Le label récompense la biodiversité et la qualité de l’eau exceptionnelles du cours d’eau. Pourtant, il n’a aucune valeur réglementaire : les agriculteur·ice·s peuvent poursuivre l’utilisation de pesticides. 

Il est à peine 15 heures et les premier·ère·s client·e·s arrivent pour acheter leurs légumes frais. Chaque mercredi, François Hervé ouvre les portes de son exploitation maraîchère biologique cachée dans la végétation de Trégrom, dans les Côtes-d’Armor. « Le choix du bio était une évidence. J’ai conscience des problèmes que pose l’utilisation des pesticides. Je veux changer ça », résume le producteur entre deux serres. Rennais d’origine, il a rejoint le pays du Trégor pour lancer son activité agricole. Depuis trois ans, il vit entre ruisseaux et friches humides. Seules quelques minutes à pied séparent ses terres du Léguer.

Le cours d’eau, et son affluent Le Guic, sont reconnus « Site Rivières Sauvages » depuis le 20 octobre 2017 et jusqu’en 2021, année où le label devra être renouvelé. Ce statut récompense la bonne qualité d’eau, la biodiversité préservée et la faible empreinte laissée par l’activité humaine sur les rivières. En France, le Léguer est la douzième à obtenir le label. Seule sa partie haute est concernée, de la source à Bourbriac jusqu’à Trégrom et de Guerlesquin à Trégrom pour le Guic. 52 kilomètres sont ainsi labellisés sur une longueur totale de 76 kilomètres (voir carte ci-contre). Son bassin versant, l’espace alimentant le cours d’eau, a été  classé zone Natura 2000 par l’Union Européenne, du fait de la faune et la flore exceptionnelles qu’il referme et doivent être préservées. Il abrite en effet de nombreuses plantes et des espèces animales rares à l’échelle européenne, comme la loutre d’Europe et le saumon d’Atlantique.

Seule la partie haute du Léguer est labellisée Rivières Sauvages. Infographie Dorian Girard d’après Samuel Jouon.

Si le bassin versant de la vallée du Léguer possède une excellente biodiversité, c’est aussi un territoire fragile et marqué par son activité agricole. Près de 600 exploitations sont installées sur ses 540 km². Ici, les producteur·rice·s, mais aussi les particulier·ère·s, continuent d’utiliser des pesticides en toute légalité malgré la biodiversité particulière du Léguer. Le Label « Rivières Sauvages » n’a en effet aucune valeur réglementaire : rien n’oblige les agriculteurs à stopper le désherbage chimique et à pratiquer une agriculture biologique.   

Un label peu contraignant

C’est le cas de Jean-Yves Alain, agriculteur installé en conventionnel à Ploubezre, près du Min Ran, cours d’eau non labellisé du bassin versant. De sa haute taille, il parcourt avec attachement les terres appartenant à sa famille depuis trois siècles. Le producteur a repris l’activité en 1992. Il élève une soixantaine de bovins et utilise des pesticides dans la production de leur nourriture.  « Si je me convertissais au bio, j’aurais davantage de travail. Par exemple, pour désherber, un coup de glyphosate et c’est fini. Avec le désherbage mécanique, je devrais passer trois ou quatre coups de tracteurs. Mais ma viande, label rouge, sera vendue au même prix », souligne l’agriculteur dans son étable.

Pour le moment, Jean-Yves Alain ne veut pas changer ses méthodes de travail. Mais l’idée lui a déjà traversé l’esprit. Il a en effet conscience des dangers. « Un soir, alors que je traitais, un homme se promenait autour de mon champ. Je me suis dis que ce n’était pas bon pour sa santé. Même quand je mets un masque, je respire mal », raconte-il. Afin de limiter son utilisation de pesticides et ses conséquences négatives pour la santé et l’environnement, Jean-Yves Alain fait partie d’un groupe de sept agriculteur·rice·s trégorrois·es. participant à des journées de formations et à des animations pour adapter leurs pratiques.

Jean-Yves Alain, agriculteur est installé en conventionnel à Ploubezre, près du Min Ran, cours d’eau non labellisé du bassin versant. De sa haute taille, il parcourt avec attachement les terres appartenant à sa famille depuis trois siècles. Le producteur a repris l’activité en 1992. Il élève une soixantaine de bovins et utilise des pesticides dans la production de leur nourriture.

Jean-Yves Alain, agriculteur installé à Ploubezre, utilise des pesticides pour produire l’alimentation de ses vaches allaitantes. Photo Jordan GUERIN-MORIN

Ces actions sont mises en place par la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor. Laurence Le Mouel y conseille les agriculteur·rice·s du Bassin Versant de la Vallée du Léguer. Mais ce territoire, en raison de la bonne qualité de son eau, n’est plus prioritaire au niveau des actions. La Chambre d’agriculture n’a plus les moyens financiers de rencontrer individuellement chaque agriculteur·rice·s et les encourager à réduire leur utilisation de pesticides. « Les agriculteurs qui participent aux actions collectives, comme les journées de formation, sont déjà sensibilisés, donc c’est compliqué… », se désole la conseillère. Les actions menées pour inciter les producteur·rice·s du bassin versant de la vallée du Léguer reposent donc sur le volontariat : les agriculteur·rice·s participent et s’informent, uniquement s’ils en ont envie. « Le bassin versant de la vallée du Léguer compte 60 producteurs installées en bio pour un total de 600 exploitations », estime Laurence Le Mouel. Les autres continuent d’utiliser des pesticides qui, même à petites doses, peuvent s’écouler dans la rivière.

Une biodiversité à protéger

Mais  les talus de bocage, reconstruits au cours des vingt dernières années, limitent le ruissellement de l’eau et donc l’écoulement des produits pesticides. Ainsi, en mai et juin 2017, quatre mois avant l’obtention de la labellisation, les plus hauts pics de pesticide relevés dans le Guic ont atteint  0.735 microgramme par litre d’eau selon les chiffres du Bassin Versant Vallée du Léguer. « C’est un résultat très faible pour un territoire agricole. Certaines régions agricoles connaissent des pics allant jusqu’à 20 microgrammes par litre », résume Christophe Piscart, chargé de recherche en écologie aquatique au CNRS. Selon lui, le Léguer présente une excellente biodiversité. « Il est riche en nutriments et bénéficie d’un habitat en très bon état. Ce n’est pas le cas dans les autres régions agricoles comme le Finistère. De plus, l’hétérogénéité du Léguer, soit l’alternance entre les eaux stagnantes et rapides, lui permet d’abriter une faune et une flore très diversifiée. »

Ces futurs financements, obtenus grâce au label, seront nécessaires pour préserver la biodiversité du Léguer, qui n’est pas garantie sur le long terme. « Un label, on peut l’acquérir mais on peut aussi le perdre si rien n’est mis en place pour aider les agriculteurs à adapter leurs pratiques », souligne Merylle Aubrun, auditrice de l’AFNOR Certification, qui a réalisé l’audit de terrain pour l’obtention du label sur le Léguer et le Guic.  Les acteur·rice·s locaux doivent donc continuer de lutter contre l’usage de pesticides, notamment du glyphosate. Une question plus que d’actualité avec le récent refus de l’Assemblée nationale d’inscrire dans la loi l’interdiction d’utiliser le glyphosate. « C’est le combat de demain », conclut Christian Meheust, président du Bassin Versant Vallée du Léguer.

« Le label Rivières Sauvages est un outil de communication. Il permet aux habitants de comprendre la richesse du patrimoine du Léguer » – Samuel Jouon, chargé de communication du Bassin Versant Vallée du Léguer.

Si le label « Rivières Sauvages » n’est pas contraignant, il permet malgré tout  de valoriser la richesse du Léguer et de développer un tourisme vert. « C’est un outil de communication. Il permet aux habitants de comprendre la richesse du patrimoine du Léguer. Il attire aussi les touristes dans les terres, qui ont tendance à se concentrer sur la côte de Granit rose », résume Samuel Jouon, coordinateur général et chargé de communication du Bassin Versant Vallée du Léguer.

Le label joue aussi un rôle non négligeable dans l’obtention de financements. Cette classification est un gage pour conserver et trouver de nouvelles subventions auprès de l’Agence de l’eau. Malgré son caractère non  contraignant, le label est tout de même reconnu par les instances de préservation de l’environnement et les acteur·rice·s locaux et leurs financements seront utiles pour continuer de protéger le Léguer. Il a notamment été retenu pour participer à une étude : celle-ci doit déterminer sa valeur financière entre autres liée à son activité touristique. Il s’agit, en clair, de déterminer les gains économiques générés par le Léguer.

Ces futurs financements, obtenus grâce au label, seront nécessaires pour préserver la biodiversité du Léguer, qui n’est pas garantie sur le long terme. « Un label, on peut l’acquérir mais on peut aussi le perdre si rien n’est mis en place pour aider les agriculteurs à adapter leurs pratiques », souligne Merylle Aubrun, auditrice de l’AFNOR Certification, qui a réalisé l’audit de terrain pour l’obtention du label sur le Léguer et le Guic.  Les acteur·rice·s locaux doivent donc continuer de lutter contre l’usage de pesticides, notamment du glyphosate. Une question plus que d’actualité avec le récent refus de l’Assemblée nationale d’inscrire dans la loi l’interdiction d’utiliser le glyphosate. « C’est le combat de demain », conclut Christian Meheust, président du Bassin Versant Vallée du Léguer.


A savoir

Le label « Site Rivières Sauvage », crée en 2014, est porté par le Fonds pour la conservation des rivières sauvages et l’association European Rivers Network (ERN). Ils sont soutenus par la WWF Suisse. L’European River Network dispose d’une habilitation du ministère de l’écologie lui permettant de prendre part au débat national sur la préservation de l’environnement. Le label récompense les rivières aux eaux jugées exceptionnelles pour leur qualité, leur biodiversité et la faible empreinte laissée par l’activité humaine. C’est un outil pour améliorer leur protection et conservation. Le label s’obtient avec une succession d’audits menées par la société Afnor certifications qui décerne le label. Il est attribué à un territoire et à un porteur de projet, c’est à dire une personne morale coordonnant la candidature d’une rivière au label. Cette personne doit ensuite veiller au respect du programme. La grille de critères d’obtention du label est validée par le conseil Scientifique du Fonds pour la Conservation des Rivières Sauvages. Actuellement, douze rivières sont labellisées « Site Rivières Sauvages » en France.

Perrine JUAN , Auriane DUROCH-BARRIER

et Jordan GUERIN-MORIN

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