Des eaux et débats

En 50 ans, l’association Eau et Rivières de Bretagne est devenu un acteur incontournable de la reconquête de la qualité de l’eau. Contestations indispensables pour certain·e·s, interventions dérangeantes pour d’autres, les initiatives de cette association de protection de l’environnement n’ont jamais cessé de faire réagir. D’une lutte de pêcheur·se·s à une guerre judiciaire contre les pollueur·se·s, leur stratégie est mouvante mais pas leur conviction : préserver l’eau de la région.

Manifestation contre l’inefficacité des mesures contre les marées vertes, à Hillion, dans la baie de Saint-Brieuc, 27 septembre 2009.

Manifestation contre l’inefficacité des mesures contre les marées vertes, à Hillion, dans la baie de Saint-Brieuc, 27 septembre 2009.

Elle en a pris des chemins de traverse pour arriver là où elle est aujourd’hui. L’association Eau et Rivières de Bretagne dénonce, agit et participe à la création de politiques autour de l’eau. Elle peut compter sur l’aide de 107 associations et de son millier d’adhérent·e·s pour progresser. Pourtant, à ses débuts en 1969, elle n’est qu’un simple rassemblement de pêcheur·se·s, inquiet·ète·s de ne plus avoir assez de saumons à appâter. Ce poisson naît en eau douce, puis migre à l’âge adulte dans la mer, avant de remonter dans les rivières pour s’accoupler et y déposer ses œufs. Dans les années 1970, la qualité de l’eau se dégrade et met en péril la reproduction des saumons. Eau et Rivières, alors nommée ASPPSB (Association pour la production et la protection des salmonidés en Bretagne), incrimine les industriel·le·s et les agriculteur·rice·s qui suivent les politiques productivistes dictées par l’Etat après la Seconde Guerre mondiale. Damien Blanchard, vice-président des Jeunes Agriculteurs des Côtes-d’Armor et producteur laitier, revient sur les lois agricoles lancées à la fin des années 60 : « L’État a donné à la Bretagne la mission de devenir une région de production animale. Le développement agricole s’est fait autour de trois axes : la mécanisation, la génétique et la chimie. Les institutions publiques nous poussaient même à les utiliser. Dans les années 80, on s’est retrouvé avec des stocks européens énormes. La croissance a été très forte et on ne s’est pas forcément aperçu des dégâts collatéraux que pouvait générer une telle intensification des activités agricoles. »

Les militant·e·s de la première heure savent pertinemment que le combat qu’il·elle·s entament n’a pas pour but de protéger uniquement le saumon, mais tout l’écosystème mis en péril par la dégradation de la qualité de l’eau des rivières. Alors le terrain, elle·il·s le connaissent. Restauration des cours d’eau, nettoyage des rivières, débroussaillage des fossés… Il·elle·s deviennent des expert·e·s locaux·les et sont formé·e·s par l’association au point même de devenir des sentinelles de la rivière.

Gilles Huet, délégué régional de l'association Eau et Rivières de Bretagne.

Gilles Huet, délégué régional de l’association Eau et Rivières de Bretagne.

Dans les années 1980, l’association élargit son champ d’action. « Eau et Rivières de Bretagne a commencé à défendre un intérêt général. Ses discours se modifient, ses actions se diversifient. Une conscience politique apparaît. Des juristes s’intéressent également aux questions juridiques et lancent des procès », raconte Anne-Paule Mettoux, auteure d’une thèse en sociologie intitulée « Associations et changement social : le cas d’Eau et Rivières de Bretagne, association de défense de l’environnement ». Ses membres guettent les rejets de déchets polluants dans les eaux, les dénoncent, quitte, parfois, à aller jusqu’au procès. Industries ou exploitations agricoles, nul n’est épargné.

 L’eau devient peu à peu une inévitable source de tensions. En dénonçant les pollueur·se·s au niveau local, Eau et Rivières de Bretagne prend des risques. « Quand les bénévoles dénonçaient des pollutions, ils pointaient régulièrement du doigt des agriculteurs qui étaient quasiment leurs voisins. Les membres de l’association subissaient d’énormes pressions : ils étaient menacés, insultés. Il y avait des agressions physiques de la part des agriculteurs locaux et de syndicats qui n’appréciaient pas qu’on les traîne en justice », précise Anne-Paule Mettoux.

Cette démarche juridique n’est pas vaine. Elle est partie intégrante du combat écologiste de l’association, qui espère de cette manière attraper dans les mailles de son filet de plus gros poissons que des saumons. Des élu·e·s peu regardant·e·s aux exploitations porcines, en passant par des firmes internationales comme Monsanto… Avec plus de 600 jugements à son actif, l’association parvient à mettre en lumière cette cause et éveiller les consciences. En 1983, l’organisation pointe par exemple du doigt l’illégalité de certaines industries d’élevages porcins et les poursuit en justice. Ces dernier·ère·s ne respectent pas les effectifs d’animaux dans les ateliers et sont condamné·e·s par l’Etat à appliquer la législation environnementale en vigueur et à réduire leurs épandages de lisier. Grâce à de telles actions, l’association se fait entendre et permet aux problématiques autour de l’eau de prendre de l’ampleur tant politiquement que médiatiquement. L’eau devient à la fois un problème de santé publique et une cause environnementale à défendre.

Thierry Burlot, vice-président de la Région Bretagne chargé de l’environnement, de l’eau, de la biodiversité et du climat et président du comité de bassin Loire-Bretagne, confie être très reconnaissant envers les associations de protection : « Historiquement, ce sont eux qui ont fait bouger les choses et quand ils ont quelque chose à dire, ils le disent. Parfois fortement. Il y a eu une réelle prise de conscience quand les associations ont commencé à se mobiliser. » Une prise de conscience des agriculteur·rice·s, des industries et de l’opinion publique, qui a mené à des changements politiques.

 

Entre protestation et participation citoyenne

L’association parvient à se faire entendre allant jusqu’à renverser certains projets. L’exemple le plus marquant pour Gilles Huet, salarié d’Eau et Rivières de Bretagne, reste l’opposition à un projet de barrage en 1976 : « Soit ils construisaient un barrage pour alimenter le nord-ouest des Côtes-d’Armor en eau potable, soit ils construisaient un barrage sur la rivière voisine qui est le Leff. Tous les élus avaient voté à l’unanimité pour la construction du barrage sur le Trieux. L’association a contesté cette décision avec le reste de la population. Le président du conseil général de l’époque a décidé de remettre la question à plat et a demandé à un comité d’experts (dont l’association) d’analyser la situation. Au final, le rapport rendu trois ans plus tard a confirmé qu’il n’y avait pas réellement besoin d’un barrage… et, il n’a pas été construit. »

L’association continue dans sa lancée. À la fin des années 90, Eau et Rivières de Bretagne jouit d’une visibilité importante au niveau local et est considérée comme un acteur incontournable des débats environnementaux. Les décideur·se·s des politiques de l’eau les invitent à leur table. Elle·il·s les intègrent aux discussions lors des instances et des comités où sont décidés les axes à suivre et les politiques à définir… Les opérations coup de poing laissent place à des discussions plus calmes. On croirait presque que les militant·e·s sont rentré·e·s dans les rangs.

À en croire Gilles Huet, ce n’est pas le cas. À l’époque, cela crée un véritable conflit et alimente des débats encore d’actualité aujourd’hui.

Cette proposition d’intégrer les comités était parfois considérée comme une instrumentalisation politique. L’association saisit tout de même l’occasion, sans jamais avoir l’intention de se laisser mener en bateau. Comité local de l’eau, observatoire départemental de l’environnement, comité de bassin Loire-Bretagne… Eau et Rivières de Bretagne prend part à 77 instances de discussion chaque année.

Tout le monde s’accorde à dire que la reconquête de la qualité des eaux ne peut se faire qu’avec une réflexion commune mais, souvent, les intérêts des différent·e·s protagonistes divergent. Certes, l’association alerte et émet des avis, mais elle n’est pas toujours écoutée. « On s’exprime, on propose, on discute, on s’oppose. On nous entend au sens où on participe à l’échange. De dire que systématiquement la position d’Eau et Rivières est retenue, non, c’est même globalement la situation inverse. »

Malgré les dialogues, les heures de débats et les petites victoires, les objectifs sont loin d’être atteints. L’élu régional Thierry Burlot en est conscient : « Les objectifs fixés à 2021 et 2027 sont inatteignables car une prise de conscience pêche pour les atteindre, même si la région est exemplaire en terme de qualité de l’eau ». Pour les associations de protection de l’environnement, au même titre que pour les syndicats d’agriculteur·rice·s, il reste encore beaucoup à faire :

Damien Blanchard, producteur laitier à Lamballe et vice-président des Jeunes Agriculteurs 22.

Damien Blanchard, producteur laitier à Lamballe et vice- président des Jeunes Agriculteurs 22.

 

 

 

 

«Evidemment, il y a eu des améliorations mais la loi dit aux agriculteurs : démerdez-vous et financez vos changements »

 

 

 

 

En 50 ans, l’association n’a cessé d’avancer et d’orienter les politiques de l’eau. Mais la route est encore longue. Le 20 septembre dernier, l’association saisit d’ailleurs le tribunal de Guingamp contre Shopix, un magasin de jardinage et de bricolage. Ce dernier s’affranchissait depuis 2015 des lois interdisants la publicité grand public pour des produits contenant du glyphosate. Quand personne ne semble réagir, Eau et Rivières de Bretagne affirme une nouvelle fois son rôle de contre-pouvoir. Verdict le 25 octobre prochain.

 

Lena Thébaud et Lucie Bédet

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