À Saint-Michel-en-Grève, l’avenir du tourisme chevillé à celui des algues vertes

Longtemps étiquetée comme l’emblème des algues vertes, Saint-Michel-en-Grève a vu sa fréquentation décliner durant de nombreuses années. Un à un, les hôtels ont mis la clef sous la porte. Aujourd’hui, plusieurs éléments portent à croire que la situation s’améliore. Les collectivités et les acteur·rice·s du tourisme en profitent et espèrent relancer la station balnéaire.

L’Hôtel de la plage, laissé à l’abandon depuis six ans, surplombe une baie de 600 hectares couverte d’algues vertes. Les tracteurs venus les ramasser quelques heures plus tôt y ont laissé des traces. Hormis quelques kitesurfeur·se·s, la plage est déserte. Tout est calme. On distingue au loin le bruit des balançoires bercées par le vent et celui des voitures longeant la côte. Les terrasses sont vides. Sur la porte du Bistrot de la plage, on peut lire l’inscription «fermé». Et à la sortie du village, d’anciennes façades d’hôtels abîmées par le temps, retracent le souvenir d’un temps où Saint-Michel-en-Grève était une station balnéaire en vogue.

Le long de la baie de Saint-Michel-en-Grève, des panneaux de signalisation alertent sur les algues vertes. © Aurélien Defer

Le long de la baie de Saint-Michel-en-Grève, des panneaux de signalisation alertent sur les algues vertes. © Aurélien Defer

A l’époque, dans les années 1950, «la commune comptait pas loin de dix hôtels», rappelle Christophe Ropartz, actuel maire de Saint-Michel-en-Grève. Aujourd’hui, tous ont été réhabilités, transformés en commerces ou en appartements. Tous, sauf un : l’Hôtel de la plage. En vente depuis 20 ans et fermé depuis six ans à cause de la baisse de fréquentation touristique, il devrait finalement être repris à la fin du mois par deux Bretons, Fabrice Blard et Tugdual Rolland.

Une nouvelle qui réjouit Christophe Ropartz, maire depuis 2014. «C’est une chance pour la commune. On est optimiste, sourit-il. Mais on reste prudent.» L’élu sait que l’activité touristique à Saint-Michel-en-Grève ne repartira pas si facilement. Car les algues vertes sont toujours là, bien que moins nombreuses et en retard cette saison. En réalité, si l’afflux de visiteur·se·s a chuté et que la quasi-totalité des hôtels de la baie a fermé ces 40 dernières années, c’est principalement parce que la plage a été l’une des plus touchées par le phénomène des algues (voir chronologie).

Pour comprendre l’impact des marées vertes sur le tourisme et l’économie locale, la Commission européenne et le ministère de l’Environnement ont enquêté tour à tour. «Les effets comprennent une réduction significative de l’afflux de touristes dans les zones touchées par les algues, un manque à gagner pour les entreprises du secteur hôtelier, une diminution dans l’usage récréatif des lacs, des mers et des océans et aussi une augmentation des dépenses des habitants (traduit de l’anglais)», conclut le rapport de la Commission européenne.

Le rapport gouvernemental met en évidence un lien entre le taux de couverture des algues vertes et la baisse de la fréquentation touristique. Sources : EFH, Ceva, calculs CGDD

Le rapport gouvernemental met en évidence un lien entre le taux de couverture des algues vertes et la baisse de la fréquentation touristique. Sources : EFH, Ceva, calculs CGDD

Christophe Ropartz, lui, veut difficilement entendre parler des algues vertes. Il préfère justifier la chute du tourisme par une tendance globale de l’activité en Bretagne, pointant du doigt notamment «la météo de ces dernières années, mais aussi la loi littoral, les nouvelles normes ERP [Etablissement recevant du public], qui poussent certains établissements à mettre la clef sous la porte».

Saint-Michel-en-Grève n’est pas la seule commune concernée par cette baisse de fréquentation. Un document publié par Armorstat montre un recul de la fréquentation touristique dans les Côtes-d’Armor depuis 2005 avec «une perte d’1,5 million de nuitées sur le département et de plus de 5 millions à l’échelle régionale». Les causes évoquées pour expliquer cette baisse rejoignent celles de Christophe Ropartz : raisons liées aux contextes politiques, économiques et météo. A demi-mot, le maire avoue rester conscient que l’avenir de la commune dépendra de la façon dont sera surmonté le défi des algues vertes.

«Un défi à relever…»

Quand il liste les efforts à faire pour contrer les marées vertes, Christophe Ropartz insiste sur l’importance de pratiques agricoles moins polluantes. En 2012, un rapport commandé par les ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture établissait que les activités agricoles «représentent au moins 90 % des apports azotés» dans les baies et y sont presque exclusivement responsables de l’eutrophisation*, c’est-à-dire un déséquilibre du milieu dû à une concentration excessive en nitrates et en phosphore.

Sylvain Ballu, chercheur au Ceva (Centre d’études et de valorisation des algues), confirme : «La seule solution effective à long terme réside dans la diminution des taux de nitrates dans les cours d’eau des bassins versants». Autrement dit : dans le changement profond des modes de production agricoles. Pour cela, le gouvernement a mis en place un premier Plan de lutte contre les algues vertes (Plav) sur la période 2011-2015, puis un deuxième pour les années 2017-2021, qui ont pour objectif la diminution des pollutions des sols et des eaux par les agriculteur·rice·s. «Les deux agriculteurs de la commune ont pris conscience du problème et ont fait des efforts», assure le maire.

Mais ils ne portent pas à eux seuls la responsabilité de la prolifération des algues sur la baie : 150 exploitant·e·s sont aujourd’hui installé·e·s sur le bassin versant de la Lieue de Grève. Même si la plupart ont été sensibilisé·e·s et répondent aux actions préconisées par le Plav, il faudra pour certains cours d’eau attendre plusieurs années avant de pouvoir observer des effets positifs. «Si on arrivait déjà à 15 milligrammes de nitrates par litre d’eau, cela changerait tout au phénomène de prolifération des algues», avance Jean-Claude Lamandé, vice-président de Lannion-Trégor Communauté en charge de l’environnement et président du Comité des bassins versants de la Lieue de Grève. «Le taux général actuel est de 20 milligrammes de nitrates par litre dans les cours d’eau», précise-t-il.

«…plus difficile qu’ailleurs»

Même son de cloche au Ceva, où les chercheurs effectuent des prélèvements dans les cours d’eau toutes les deux semaines. «D’un point de vue tendanciel, si le taux de nitrates continue de baisser, la situation va s’améliorer», remarque Sylvain Ballu. D’après les études du laboratoire, cette concentration serait en décroissance régulière depuis 15 ans. Cependant, de nombreux autres paramètres entrent en compte dans le processus de prolifération des algues : conditions météorologiques (soleil, pluie, vent, houle, températures), configuration naturelle des milieux (baies, vasières), minéraux en présence, etc. Ces paramètres étant souvent instables, «les milieux naturels offrent des séries différentes chaque année», expliquant des degrés de marées vertes en dents de scie, note Sylvain Ballu.

Histogramme reprenant les surfaces d’échouage des algues vertes (en ha) sur la Lieue de Grève, de 2012 à 2017. Source : Ceva

Histogramme reprenant les surfaces d’échouage des algues vertes (en ha) sur la Lieue de Grève, de 2012 à 2017. Source : Ceva

2018 est un exemple emblématique : cette année, les algues vertes sont exceptionnellement peu nombreuses et sont arrivées en retard, notamment à Saint-Michel-en-Grève. «Sur cette commune, ce sera vraisemblablement l’année la plus pauvre en algues depuis des années», note Sylvain Ballu. En cause, un hiver peu lumineux (40% de soleil de moins par rapport aux moyennes), des eaux plus froides et des tempêtes nombreuses. «Il serait donc erroné d’attribuer le record de l’année 2018 aux seuls efforts de l’agriculture», conclut le chercheur du Ceva. En effet, les résultats de cette année particulière n’indiquent en rien une tendance à la baisse. «Saint-Michel-en-Grève est par sa configuration la baie la plus sensible aux proliférations d’algues vertes malgré des taux de nitrates assez bas, poursuit-il. Le défi va être forcément plus difficile à relever qu’ailleurs.»

En attendant que le fond du problème soit traité, les collectivités tendent d’intervenir sur  le volet curatif. «En période de marées vertes, un ramassage des algues est opéré sept jours sur sept», explique Jean-Claude Lamandé. Cette mission assumée par la communauté de communes consiste à nettoyer les plages touchées en collectant les ulves en décomposition, qui s’échouent à chaque marée sur la partie haute de la plage. Ce ramassage a d’abord une visée sanitaire : une fois entrées en état de putréfaction, les algues dégagent des gaz malodorants et dangereux pour tout être vivant qui les respire. En 2009, un cheval est mort après avoir respiré les effluves des algues en décomposition.

Ce ramassage fait aussi partie des stratégies de communication de la municipalité pour relancer le tourisme. En effet, une plage nettoyée et un territoire qui paraît s’occuper  d’un problème, même en aval, aura plus de chances d’attirer visiteur·se·s et investisseur·se·s.

Derrière l’Hôtel de Saint-Michel-en-Grève, on aperçoit les algues vertes sur la plage. © Aurélien Defer

Fabrice Blard, l’un des deux repreneurs de l’Hôtel de la Plage, confie : «On a été sensible aux efforts des collectivités. Il y a dix ans, on n’aurait pas investi, il n’y avait pas d’évolution. […] Ça fait cinq, six ans que ça bouge.» Aujourd’hui, il veut participer à la relance de la station balnéaire en faisant oublier son passé algueux. Et pour cela, il faut «communiquer et se concentrer sur le futur, sur les processus mis en place», Le 10 septembre, dans un article publié par Le Télégramme pour annoncer la reprise de l’hôtel, le maire Christophe Ropartz avait eu le malheur d’employer l’expression «après tout ce que l’on a subi, [c’]est une excellente nouvelle», désignant sans le nommer le problème des algues vertes. «Une erreur», selon Fabrice Blard qui, lui, n’hésite pas à «supprimer les commentaires» polémiques sur la page Facebook de son établissement. Depuis, «on évite d’en parler, explique le maire de Saint-Michel-en-Grève. Je n’ai pas envie de rajouter de l’huile sur le feu».

Aurélien Defer et Léa Dubost

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1 comment for “À Saint-Michel-en-Grève, l’avenir du tourisme chevillé à celui des algues vertes

  1. Sofiane Hamard
    24 septembre 2018 at 22 h 19 min

    Super article! Ces étudiants ont du talent

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